Mi-décembre, nous rencontrions les créateurs visuels Olivier Kuntzel et Florence Deygas lors du vernissage de leur exposition SMOKE à la Galerie Spree. Voilà plusieurs années que nous suivions à distance le duo plurivalent, concepteur des sculptures sonores Grateful Vanity que nous avions découvertes au Silencio, des fabuleuses lampes Micha repérées au Bon Marché mais aussi de la publicité pour le parfum La Petite Robe Noire de Guerlain sur laquelle nous tombions systématiquement en allumant la télé. C’est donc tout naturellement que nous avons proposé aux fameux K+D de venir les rencontrer dans leur atelier, un espace fonctionnel et chaleureux dont ils nous ont ouvert les portes récemment…
Pourriez-vous nous parler brièvement de votre formation et des circonstances qui ont mené à votre rencontre ?
Florence Deygas : J’ai toujours été très attirée par la mise en scène et le dessin donc j’ai fait l’école des Gobelins en cinéma d’animation. Olivier, lui, vient des Arts appliqués, en section Communication. En sortant de l’école, il s’est écarté du monde des agences de pub pour se tourner vers les images numériques qui étaient en train de naître. Contrairement à lui, je n’étais pas dans le numérique mais vraiment dans le old school sauf que le milieu de dessin animé m’a beaucoup déçue, il n’y avait pas d’énergie, c’était vieillot. De fil en aiguille, comme j’avais entendu parler de ce qu’il se passait avec les ordinateurs, j’ai proposé mes services à des studios de post-production et c’est là que j’ai rencontré Olivier. Assez vite, nous avons eu envie de confronter son savoir-faire et sa connaissance d’un matériel nouveau avec mon savoir-faire, plus classique mais assez performant. On s’est dit après coup que c’est un peu comme quand on prend un violoniste classique dans un groupe de rock pour faire une session un peu étrange, ça peut être intéressant.
Ça vous a amené à vos premiers projets collaboratifs, à la fin des années 1980…
Olivier Kuntzel : Un des premiers projets a été Tapis dans l’ombre, qu’on a fait pour Beaubourg. Mais il faut savoir qu’à cette époque, tout était compliqué à monter. Les machines étaient très onéreuses donc nous travaillions sur des machines que les sociétés de productions nous prêtaient la nuit, pour faire des clips vidéo. L’émergence du clip, à cette même période, permettait de se faire la main. On nous donnait une chanson à illustrer, en étant libres d’amener des choses. C’était un carrefour où l’on pouvait rencontrer plein de monde. Les producteurs rencontraient les réalisateurs et il suffisait que les clips soient intéressants pour très vite avoir d’autres jobs. Aujourd’hui, les gens sont plus isolés.
F. Deygas : C’est une des raisons pour laquelle nous avons assez vite eu besoin d’avoir nos propres lieux pour créer. Après être passés par différents lieux, on a trouvé cette ancienne miroiterie au début des années 2000. À chaque fois, il s’agissait de créer notre bulle dans le but de trouver une atmosphère motivante pour nous et qui puisse servir d’émulation au quotidien pour les gens qui travaillent avec nous et les clients qui viennent nous voir.
Décrivez-nous le fonctionnement de votre atelier : combien de personnes y travaillent en permanence et comment les tâches sont-elles réparties ?
O. Kuntzel : Il n’y a pas de fonctionnement défini. Florence et moi faisons nos propres images mais nous pouvons aussi les faire avec d’autres personnes. Pour comparer à la musique, disons que nous sommes les compositeurs, nous jouons de certains instruments mais pas de tous les instruments donc il nous faut une sorte d’orchestre.
F. Deygas : Aussi, comme nous aimons concevoir des projets assez différents, nous avons besoin de travailler avec des collaborateurs qui ont des compétences différentes donc il ne peut pas avoir de personnes fixes à l’atelier. Les équipes se forment selon les projets. Mais vu notre style de travail, la base est d’avoir un local et du matériel.
O. Kuntzel : Il faut que nous soyons soit le plus autonomes possible, pour ne pas être tributaires des machines des autres.
O. Kuntzel: Avant tout les idées ! Et l’activité, la réflexion, c’est très littéraire, il n’y a pas que du dessin. Nous devons trouver quelque chose qui touche les gens et qui fonctionne. Après les outils sont à peu près les mêmes que chez les autres : des ordinateurs, du papier…
F. Deygas: Nous sommes restés dans cette culture de l’immédiateté de la main et du support basique du papier. Nous avons moins le réflexe d’aller tout de suite sur un ordinateur pour prendre des notes ou faire un croquis numérique, par exemple. Donc parfois les morceaux de papier se perdent dans le vrac de l’atelier mais ça n’est pas grave parce que les idées ont fait leur chemin et qu’après on les retrouve. En ce moment, nous avons une mécanique qui fonctionne bien mais souvent quand la routine s’installe, on a envie de casser le moule, d’ajouter quelque chose.
O. Kuntzel: Oui, il faudra sûrement évoluer !
F. Deygas: Là de manière régulière, nous utilisons le dessin et le dessin animé. Ensuite sur ordinateur, il y a différents logiciels pour animer comme 3ds Max…
O. Kuntzel: Nous n’avons jamais essayé de flamber en suivant une technique qui serait le « truc » du moment, comme le morphing par exemple, donc notre style est un peu intemporel.
F. Deygas: Notre vrai défi, quand l’idée est là, c’est de la matérialiser avec de l’émotion. L’outil ne vient pas en premier. À la limite ce sont plus les gens qui manipulent les outils et leur personnalité qui viennent avant l’outil lui-même.
Comment sélectionnez-vous les commandes auxquelles vous répondez ?
O. Kuntzel: Le choix dépend des relations, du sujet, de la qualité et l’ampleur de ce sujet…
F. Deygas: De l’envie des gens en face que l’on conçoive quelque chose qui nous ressemble. Quand ce paramètre-là entre dans la demande, c’est formidable et cela nous donne envie d’y aller même si ce n’est pas notre sujet habituel.
O. Kuntzel: Oui, c’est intéressant. Après le fait que l’œuvre soit personnelle ou non n’a pas tant d’importance. En art, il y a beaucoup de chefs d’œuvres qui ont été commandités, des plafonds d’église, des sculptures ou même des portraits.
F. Deygas: Nous nous sentons assez portraitistes car répondre à une commande c’est un peu faire à notre manière le portrait d’un produit. Les gens qui viennent nous chercher attendent de nous cette analyse de ce qu’ils sont.
O. Kuntzel: Nous travaillons beaucoup là-dessus. Il y a une part de psychanalyse au sens où il faut faire parler les marques, leur faire raconter une histoire pour arriver à se faire notre propre image d’elles.
Pour le générique du film Catch Me If You Can de Steven Spielberg mais aussi sur d’autres projets, vous avez confectionné des tampons en caoutchouc avec lesquels vous mettez au point des séquences narratives, que vous animez ensuite ou non. Est-ce important pour vous d’insuffler ce côté ludique, parfois presque espiègle, dans vos créations ?
F. Deygas: Nous ne cherchons pas l’espièglerie ou le ludique forcément. Les tampons sont nés pour une raison très précise dans le cadre de projets où l’on travaillait en micro-équipe avec des gens qui n’avaient pas de talent spécial pour dessiner.
O. Kuntzel: Nous faisions du dessin animé qui est, par définition, une répétition de dessins. Donc soit on faisait tous les dessins nous-mêmes, un par un à la main, soit on prenait des gens pour nous aider. Et comme ces gens qui nous secondaient ne dessinaient pas très bien, on a fait des tampons afin de matricer les formes.
F. Deygas: Du coup, on a plutôt choisi de travailler avec des gens qui étaient de bons animateurs, qui connaissaient bien le mouvement et pourraient manipuler les tampons en suivant les indications de jeu d’acteur qu’on leur donnerait. Au final, on avait notre patte visuelle et des collaborateurs délivrés du soucis de reproduire notre style.
O. Kuntzel: Ce qu’il s’est passé sur Catch Me If You Can, c’est que nous étions dans une compétition stratégique. Tout le monde voulait être époustouflant. Spielberg a certainement reçu des projets de générique incroyables qui utilisaient de la synthèse et des outils avancés. Nous avons choisi de nous positionner différemment en proposant un truc low technology, qui pouvait pratiquement être fait par un enfant. Donc on a choisi les tampons.
F. Deygas: Nous savions qu’à distance la chose qui nous représenterait le mieux, qui exprimerait le mieux une personnalité et de l’émotion, serait quelque chose qu’on pouvait faire avec nos mains. Cela ne servait à rien d’essayer de faire un gros pâté impressionnant, qui ne serait finalement pas impressionnant au regard de ce que d’autres pourraient faire. Nous nous sommes dits : pour être exotiques, soyons nous-mêmes. Ne soyons pas faussement exotiques. Et ça a marché.
Parmi tous vos projets, y en a-t-il un qui vous tient plus à cœur que les autres ?
F. Deygas: Parfois nous repensons avec beaucoup de plaisir à un projet ou à un autre mais il n’y a pas de préféré, ça change tout le temps. Nous parlions tout à l’heure de Tapis dans l’ombre qui est un de nos premiers projets : Olivier devait faire une installation à Beaubourg pour l’atelier des enfants. C’était sur le thème du pixel et il avait eu l’idée de dessiner et faire fabriquer un vrai tapis, dont les brins de laine pourraient figurer des pixels. Il avait aussi imaginé un film dans lequel des éléments graphiques sortiraient du tapis, s’animeraient. Un petit garçon marche sur ce tapis et des choses l’attaquent…
O. Kuntzel: C’était inspiré de Roald Dahl !
F. Deygas: J’ai rejoins l’équipe pour faire l’animation de tous ces objets qui sortaient et c’est comme ça qu’on a bossé ensemble. Le jour du vernissage de l’exposition, il y avait le tapis et la vidéo projetée par dessus en hauteur. Tous les enfants regardaient le film et quand la vidéo s’est arrêtée plusieurs d‘entre eux se sont jetés sur le tapis pour essayer de faire sortir les motifs avec leurs mains. On a réalisé combien on a besoin d’un objet réel pour incarner une légende et combien un objet réel a besoin d’une légende pour être fantastique.
O. Kuntzel: C’est comme l’histoire de la croix. Il faut un petit bout de bois pour faire croire que la croix existe mais il faut aussi la légende qui raconte l’histoire de ce bout de bois car sinon c’est juste un bout de bois. Donc ça, ça a été un des chocs qu’on a eu et on s’est dit qu’on voulait continuer à travailler autour de l’objet.
Il y a quelques années, vous décliniez vos personnages Caperino et Peperone en sculptures sonores. Expérience réitérée plus récemment avec les hauts parleurs Grateful Vanity et Miniskull. Dans les deux cas, vous avez tenté d’éprouver le rapport entre l’image, le son et la sensation. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?
F. Deygas: Nous nous sommes un jour rendus compte que l’on n’écoute pas une musique de la même manière quand elle est délivrée par un objet qui a une forme. Si c’est un objet en forme de tête de mort ou si ce sont deux chiens un peu drôles qui vous balancent la musique, il y a un paramètre entre vous, la musique et cette chose entre les deux qui ajoute sa personnalité. C’est très certainement pour cette raison que les enceintes en général sont très neutres, pour ne pas polluer la perception, mais nous avons voulu faire la démarche inverse et utiliser ce troisième paramètre.
O. Kuntzel: Nous ne nous considérons pas vraiment comme des designers au sens où nos objets ne sont pas des objets, ce sont des personnages qui prennent place, qui ont une forme d’objet.
F. Deygas: Il faut plus les prendre comme cette histoire de tapis vivant. Nous ne sommes pas dessinateurs de tapis mais nous avons glissé dans le tapis un peu de vie. Là on glisse une présence dans un speaker ou dans une lampe. C’est ce qui nous intéresse.
Peu frileux, vous avez touché à la mode, au design, à l’illustration, la vidéo, la photo, à la publicité. Y a-t-il un domaine artistique auquel vous ne vous êtes pas encore mesuré et qui vous attirerait particulièrement ?
O. Kuntzel: On n’a pas encore fait de mise en scène…
F. Deygas: Oui ça j’aimerais beaucoup ! Faire du spectacle vivant, de la chorégraphie, quelque chose autour du spectacle où il y ait le danger du live parce que là, nous sommes dans l’hyper-contrôle de tout. Ça pourrait être très tentant.
Vous présentez depuis quelques semaines vos dessins à quatre mains dans le cadre de l’exposition SMOKE à la Galerie Spree. Comment avez-vous décidé du thème de l’expo et comment avez-vous procédé pour le dessin ?
F. Deygas: C’est un travail qui est venu d’un jet cet été, qui n’était pas prédéterminé. Nous ne savions d’ailleurs pas qu’on ferait une expo quand on a fait les dessins. C’était la première fois que nous faisions une séance longue de dessin dans notre autre atelier, qui est en forêt. On aime s’amuser à se partager certains dessins d’une manière légère, sans définir à l’avance ce que l’on va faire.
O. Kuntzel: Il y a une couche de Florence, une couche de moi et ça se mélange. On ne voit plus qui a fait quoi même si on voit bien les deux univers.
F. Deygas: Moi c’est simple, je ne dessine que des filles et Olivier dessine les ours, les mains. Il avait commencé à faire un ours qui fume et la fumée était vide. J’avais trouvé ça beau et pensé que j’aimerais bien mettre quelque chose dans cette fumée. Après ça a été un ping-pong, une sorte de dialogue sans se parler.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cet atelier en forêt et la manière dont il a pu vous inspirer ?
F. Deygas: La maison nous a influencé, plus qu’inspiré. C’était une influence constante et inconsciente. Sans attendre que cette maison entre dans notre vie, Olivier dessinait déjà des ours et moi des filles mais c’est vrai que cette maison a une histoire : elle est assez classique, type relais de chasse ou maison un peu étrange dans la forêt. Elle a été construite par un Général de l’armée napoléonienne, on appelait ça un Général des Dragons ou autre nom un peu fantastique. L’histoire veut qu’il ait construit cette maison pour accueillir sa bonne amie parisienne. Donc il y a déjà eu dans cette maison un dragon et une jeune femme. C’est curieux de réfléchir à tout ce passé. J’ai pensé à cette fille avec ses larges robes qui passait dans les larges couloirs, je me demandais quelle chambre elle occupait… Il est fort possible que ce côté fantomatique, les fumées, l’esprit, l’imagination, cette rencontre au milieu de la forêt, les brumes du matin, aient pu jouer un rôle dans notre création.
Si vous pouviez vous faufiler dans l’atelier d’un autre artiste, chez qui aimeriez-vous aller?
F. Deygas: Je crois que nous aurions tous les deux beaucoup aimé faire un saut dans le temps et aller dans l’atelier de Matisse. C’est pour nous une vraie influence. Pas tant le travail de Matisse et le résultat de son travail lui-même mais sa méthode de travail, son art de vivre et ce besoin d’être dans des lieux avec une atmosphère, une lumière, quelque chose qui porte à l’élan créatif.
Propos recueillis par Fanny Giniès
Kuntzel + Deygas – SMOKE
Jusqu’au 28 février 2013
Galerie Spree
11 rue Lavieuville
75018 Paris
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http://www.kuntzeldeygas.com/
http://www.houseofmicha.com/
http://www.caperinopeperone.com/
Photos Fanny G. & Javel © Roughdreams.fr
Remerciements particuliers à Eleonore Coupry et Anahita Vessier de chez Add a dog !