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Les ravages du lobbying

Publié le 08 avril 2008 par Danielriot - Www.relatio-Europe.com

par Corinne Lepage

La question du lobbying entre, avec fracas, dans le débat politique en France. Les passes d’armes entre le sénateur Legrand dont le courage et l’honnêteté intellectuelle doivent être salués et le président Accoyer, dont la brutalité des propos, lors de l’avis émis par le comité Legrand a interloqué, car elle n’était justifiée par rien, sont un véritable fait politique, et, ce , d’autant plus qu’elles opposent deux parlementaires de l’UMP.
Voici de longues années que le lobbying s’exerce à l’Assemblée Nationale, sans aucune règle du jeu. Un documentaire récent d’Arte montrait comment un des plus actifs des lobbyistes,  qui s’était illustré dans la défense des chasseurs, avait su ménager ses entrées à l’Assemblée Nationale, avec un badge d’ « attaché parlementaire. » Il semblerait qu’il s’illustre du reste aujourd’hui dans la défense du lobby OGM.

 
 Lorsque le sénateur Legrand dit pour la première fois que les parlementaires ont été « actionnés «  par le lobby pro-OGM, il pose un véritable problème politique  et démocratique, alors même que l’immense majorité de la population française comme du reste la population européenne, si on en croit le dernier eurobarométre est formellement opposée aux OGM. Dès lors, pour voter une loi, ouvertement laxiste et non protectrice comme l’est la loi allemande, il faut que les parlementaires de la majorité aient de solides arguments d’intérêt général. En effet,  la coexistence entre culture OGM et non OGM est impossible et le projet voté par le Sénat organisait la pollution génétique sous couvert de permettre la coexistence. De plus, le refus d’imposer les études sur la santé, de rendre obligatoirement publiques celles qui existeraient témoigne de la volonté de persister dans le syndrome de l’amiante, c’est-à-dire de faire comme si un problème n’existait pas pour mieux, quelques décennies plus tard, considérer «  que tout le monde savait » C’est ce qu’a dit le sénateur Legrand et c’est la raison pour laquelle le lobby veut sa peau. Mais pourquoi, des parlementaires participent –ils de ce lynchage, voire l’organisent ?  Entre des parlementaires, qui par conviction  et par tradition défendent une activité, par exemple le nucléaire- le lobby pro-nucléaire a été un des plus puissants de l’Assemblée Nationale- ou l’agriculture productiviste et ce que Anne Marie Robin décrit dans son livre, le Monde selon Monsanto, il existe une vaste palette. Sans doute, l’histoire racontera t-elle les dessous de ce qui se joue actuellement, et les vraies raisons des  comportements auxquels nous assistons .
Mais il est sûr qu’en tournant le dos à une expertise indépendante et à une transparence dans l’information , alors qu’il est très facile –et le rapport que j’ai remis à jean Louis Borloo en atteste- de les organiser le projet voté par le Sénat- sous réserve des amendements que le PS, les VERTS, le MODEM et les députés UMP courageux comme M.Grosdidier- le Sénat a pris une responsabilité historique : celle de confier à un lobby le soin d’expertiser les premiers produits d’une  technologie dont tout laisse penser qu’ils présentent des risques irréversibles qui seront assumés par le contribuable transformé en cobaye. Entendons nous bien. Il ne s’agit pas de condamner une technologie, qui peut s’avérer très prometteuse, sous conditions, et c’est la raison pour laquelle la recherche est indispensable. Il s’agit de comprendre comment les représentants du peuple puissent  encourager les usages alimentaires, alors que l’avantage collectif n’est de loin pas prouvé et les présomptions d’inconvénients  sont immenses.

Pour parvenir à un choix aussi déraisonnable, on peut effectivement mesurer l’efficacité du lobby ! Les « portes tournantes » décrites par Anne Marie Robin dans son remarquable ouvrage, existent aussi en France, mais la presse éprouve une très grande pudeur à en parler. Il s’agit du système qui consiste en ce que responsables, salariés, consultants ou avocats d’entreprises  ou d’intérêts économiques   occupent des postes de décision dans l’exécutif ou le législatif ou participent voire président des commissions d’experts . L’épopée Monsanto aux Etats Unis est un modèle du genre.

Alors, sans doute, la réponse des parlementaires pro-OGM consiste à se plaindre du lobby des anti-OGM. La technique est bien connue. Lobby contre lobby : la balle au centre.
Mais il n’y a aucune commune mesure entre des manifestations publiques, des livres, des films, et même les excès d’un José Bové , qui relèvent tous du débat public et démocratique et les milliards dépensés en lobbying par Monsanto et consorts, les officines qui s’activent pour déstabiliser, les invitations en tout genre , et surtout une désinformation sur papier glacé . Le sujet est suffisamment  important pour que l’on sorte de la caricature et que les parlementaires s’informent de manière contradictoire des connaissances exactes. Le Grenelle s’est inscrit dans cette logique et si le sénateur Legrand a évolué, c’est précisément parce qu’il s’est donné la peine de se plonger dans le dossier .Si ses collègues sénateurs en avaient fait de même et si certains députés UMP décidaient de s’informer de manière autonome, ils ne pourraient que rejoindre les conclusions de l’avis parfaitement étayé et non contesté –seule l’a été la présentation  du président- du comité de préfiguration,
Les ravages des lobbys viennent précisément  de cette capacité à faire perdre aux décideurs leur autonomie de jugement et c’est la raison pour laquelle il est plus que jamais impératif que conflits d’intérêt des experts, distinction entre experts indépendants et experts lobbyistes, réglementation du lobbying fassent l’objet de règles du jeu claires.
Il en va de la confiance du citoyen envers le législateur. N’oublions pas que la loi est l’expression de la volonté générale et que  les conditions dans lesquelles le législateur se prononce doivent demeurer au-dessus de tout soupçon.

Corinne LEPAGE


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