Bast © La Boîte à bulles – 2013
« - Ilam… Ça n’a pas l’air d’aller très fort aujourd’hui.
- J’en ai marre. Ça me gave. J’veux rentrer chez oim, on est en chienneté ici.
- En chienneté ?
- En chienneté, en chien quoi. On est traité comme des chiens ici ».
Pendant quatre ans, Bast a animé des ateliers d’écriture et de BD au Quartier des mineurs de la Maison d’ Arrêt de Gradignan (Gironde). A raison d’une séance hebdomadaire et de 4 détenus par séance, Bast est parvenu à créer un espace artistique pour ces jeunes en manque de repères.
C’est le récit d’une expérience particulière qui m’a permis de passer de l’autre côté des murs et d’être témoin d’un drôle de microcosme régulé et cloisonné
(propos de l’auteur, extrait du Quatrième de couverture)
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Bast est un ancien Professeur d’Arts plastiques en Collège. Il devient auteur de bédé assez tôt puisqu’il publie son premier album en 1999 (à l’âge de 25 ans). En 2004, le SPIP (Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation) de Gironde le sollicite pour animer un atelier BD en milieu carcéral auprès de jeunes âgés de 15 à 17 ans. La proposition a de quoi surprendre… et justifie pleinement quelques appréhensions. Il anime la première séance d’atelier la semaine suivante. A une fréquence hebdomadaire, il intervient ainsi en milieu carcéral jusqu’à la fin de l’année 2007. Durant ces quatre années, il a créé un espace d’expression libre, un lieu convivial et sans jugement… pas évident dans un tel contexte.
Depuis plusieurs années,
Bast avait envie de parler de ce vécu professionnel dans un album.
Un ouvrage très différent de ceux qu’il a publiés jusque-là. On sent que l’auteur a été marqué par cette expérience ; il s’est enrichit au contact des délinquants qui ont fréquenté son atelier. Il porte sur eux un regard à la fois amusé, complice et très critique. Certains ont suscité chez lui de l’empathie, un sentiment que l’auteur a gardé en lui et qui est ici parfaitement retranscrit.
D’anecdotes en anecdotes, Bast partage avec son lecteur des moments forts qui l’ont marqué durant ces années. La composition narrative est intéressante. La présence de Bast est discrète. On ne le verra jamais. Il n’est présent que par le biais d’une voix-off. Il utilise régulièrement quelques phylactères pour énoncer quelques consignes d’exercices ou pour réagir à un échange. Les jeunes en revanche interagissent en permanence, lancent des boutades, règlent leurs comptes, se plaignent de leur conditions de détention, parle d’eux et de leurs familles…
Seule la scène introductive se passe en extérieure. Bast décrit son premier trajet vers le Quartier des mineurs, l’attente, le contrôle d’identité, les passages des portes… Le reste de l’album se passe dans la salle d’activité. On n’en sortira pas, à l’instar de ces gamins enfermés pour des actes répréhensibles… l’enfermement leur permettra-t-il réellement d’en comprendre la gravité ? Plus qu’une simple description du quotidien en milieu carcéral, En Chienneté propose une réflexion de fond sur la détention, ses enjeux individuels et sociétaux, son coût. Surpopulation des établissements de détention, vétusté des bâtiments, maigres perspectives de réinsertion… Au-delà de ça, c’est aussi une réflexion sur l’Art et sa place dans nos sociétés. La pertinence de permettre l’existence de telles activités culturelles, où le dessin n’est autre qu’un support intermédiaire utilisé à des fins de socialisation. Il s’agit également, ici, de leur donner envie de dessiner pour s’échaper de leur quotidien aliénant.
Au premier abord, l’ambiance graphique d’En chienneté surprend un peu. Le vert opaline omniprésent met à mal. On ressent tout d’abord l’austérité du lieu puis, à force de côtoyer ces adolescents et à force d’écouter la voix de l’auteur-narrateur, l’atmosphère devient sereine. J’ai été frappée par le dessin de Bast qui n’hésite pas à donner à ces jeunes détenus l’apparence d’adultes.
Je suis au carrefour de routes brisées. Face à moi, des individus qui ont vieilli trop vite, qui n’ont pas eu d’enfance (ou très peu) et qui sont déjà bien fatigués. Des types blindés, blasés, blessés, bridés.
Une note plus optimiste vient clore l’album. Malgré cela, on sent l’auteur affecté et soucieux de l’avenir de ces enfants… on ne peut que lui emboiter le poids tant leur perspectives d’avenir sont incertaines.
Ce témoignage vient compléter parfaitement le reportage que Sylvain Ricard avait effectué pour réaliser 20 ans ferme.
Une interview de Bast dans le magazine Face B (Numéro 2, pages 42 à 45) et la présentation de son parcours (video réalisée par les Elèves de l’ESMI).
Les chroniques de Zaelle, Philippe Belhache et David Fournol.
Extraits :
« Pour des raisons de sécurité, ces deux objets [la carte d’identité et le portable éteint] doivent être consignés. D’accord pour le règlement, c’est sans doute légitime, mais j’ai la sensation étrange d’être devenu vulnérable. Ça doit être fait exprès » (En chienneté).
« L’espace de détention laisse peu de place à l’évasion visuelle. Les perspectives sont tronquées, limitées… les cadrages sont serrés, les paysages morcelés. Il y a un peu moins de deux siècles, les supplices et les châtiments infligés aux condamnés étaient abandonnés. Aujourd’hui, l’enfermement se veut plus moral… Ah ! Pourtant, le détenu voit son champ de vision se réduire, sa privation de liberté s’accompagne d’une perte de vue. Quelle étrange ironie : le détenu est en constante visibilité, il est vu en permanence par les surveillants grâce au jeu subtil des rondes, caméras, judas et lumières crues. En somme, le détenu est vu mais il ne peut pas voir » (En chienneté).
« Drôle de microsociété, où l’identité masculine déborde, où la virilité éclabousse et où le rapport dominant/dominé fonctionne à plein régime » (En chienneté).
Du côté des challenges :
Petit Bac 2013 / Gros mot : En chienneté
En Chienneté
- Tentative d’évasion artistique en milieu carcéral -
One Shot
Editeur : La Boîte à bulles
Collection : Contre-Pied
Dessinateur / Scénariste : BAST
Dépôt légal : janvier 2013
ISBN : 978-2-84953-163-1
Bulles bulles bulles…
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