S’il est du devoir d’un salarié d’obéir à son supérieur �- « que les serviteurs soient soumis à leurs maîtres » (Tite, 2,9) -, il est un devoir plus impérieux encore pour le supérieur d’être digne de l’obéissance d’un enfant de Dieu. Que chaque cadre médite cette vérité et se laisse saisir par son exigence infinie ! Aussi importe-t-il de bien choisir les directeurs et administrateurs, surtout au sein des organisations ecclésiastiques et chrétiennes, en raison de leur appel à manifester sur terre le royaume du Christ. J’écris cela en sachant combien ces institutions en sont loin, pour les enjoindre à se conformer à leur mission.
Vices et vertus
Saint Paul a très tôt établi les vertus nécessaires au gouvernement des communautés ecclésiales. Il en donne la norme détaillée dans son message à Tite :
« Chaque candidat doit être irréprochable, mari d’une seule femme, avoir des enfants croyants, qui ne puissent être accusés de débauche et qui ne soient pas insoumis. Le surveillant, en effet, parce qu’il est l’intendant de Dieu, doit être irréprochable : ni arrogant, ni colérique, ni buveur, ni batailleur, ni avide de gains malhonnêtes, mais au contraire hospitalier, ami des gens de bien, pondéré, juste, pieux, tempéré, attaché à la vérité enseignée. [...] Nombreux sont en effet les esprits rebelles, les vains discoureurs, les séducteurs, surtout chez les circoncis. [...] Ces gens-là bouleversent des familles entières, enseignant ce qu’il ne faut pas pour un gain scandaleux. [...] Perpétuels menteurs, mauvaises bêtes, ventres paresseux. [...] Ils font profession de connaître Dieu, mais, par leur conduite, ils le renient : être abominables, rebelles, incapables d’aucun bien. » (Tite 1,5-16)
Pris avec sérieux, ce texte peut ébranler nombre d’habitudes héritées du monde mais inadaptées à la vie de foi. Quand les recruteurs sont friands de diplômes et d’antécédents dans des postes similaires, saint Paul ignore ces prérequis.
Pour lui, la première des qualités du dirigeant est la fidélité conjugale ; elle irriguera les autres. S’en souvient-on assez ? Ensuite, le critère d’expérience qu’il retient est la réussite de l’éducation de ses propres enfants, eu égard à leurs mœurs. Je ne sache pas qu’aucun recruteur s’y intéresse ; je le leur suggère, mais encore conviendrait-il de vérifier que ladite éducation a été menée par le candidat lui-même et non déléguée à son conjoint ou à des tiers…
Les autres qualités attendues de celui qui sera obéi constituent la bonté : accueil, bienveillance, justice, modération, vérité. La foi vivante (être pieux et attaché à la vérité enseignée) est également une exigence pour diriger une structure chrétienne, exigence d’autant plus cruciale que le poste est élevé, mais qui vaut en réalité à tous les niveaux. Tous ceux qui participent à une organisation la façonnent ensemble et en sont les représentants pour l’extérieur.
Afin de ne laisser aucune ambiguïté à ses demandes, saint Paul détaille les vices contraires, qui rendent impropre à la direction : arrogance, colère, ivrognerie, violence, âpreté au gain jusqu’à frauder, hostilité à l’autorité, séduction, vaine faconde. On retrouve tous ces travers aujourd’hui ; la nature humaine n’a pas changé, seules les modalités de ses dépravations muent de période en période. L’apôtre signale même les addictions. En pratique, il ne faut pas les négliger quand elles apparaissent chez un dirigeant en place, et se souvenir que l’excès de travail en constitue une fort répandue…
Le devoir de gérer
Parmi les vertus, saint Paul cite en bonne place la justice. Qu’est-ce qu’être juste quand on dirige ?
La responsabilité la plus évidente des cadres en matière temporelle est la gestion. La bonne administration des personnes et des ressources est précisément ce à quoi correspond la justice pour les dirigeants. Contrairement à une croyance répandue, un bon patron n’est ni un « discoureur » ni un « séducteur » ; son rôle premier n’est pas de parler en public et de convaincre ; il est celui qui permet à ses subordonnés de réaliser chacun leur travail, en leur attribuant ce qui leur est nécessaire en orientations, en moyens et en soutien moral.
La bonne gestion est assez rare, sinon exceptionnelle, dans nombre d’institutions à but non lucratif comme dans nombre de sièges de grandes entreprises. Trop de scandales avérés ont frappé les principales banques mondiales depuis deux décennies ; trop de rapports de la Cour des comptes ont révélé le délabrement d’associations et d’administrations qu’elle a auditées.
Bien gérer n’est pas courant, et ce indépendamment de la formation de ceux dont c’est la responsabilité, car il s’agit d’une pratique et non d’un savoir. Il en résulte que peu de personnes en ont une claire notion, ce qui rend difficile son discernement. De plus, les conseils d’administration se désintéressent souvent de la gestion concrète des cadres opérationnels et ne les évaluent pas à cette aune, au motif spécieux que seule la « stratégie » est de leur ressort – mais qu’est-ce qu’une stratégie sans une exécution adéquate ?
Il y a hélas pire. La limite est ténue entre l’incompétence et la malhonnêteté. Ne pas gérer est déjà usurper son salaire, car ce dernier inclut, pour un dirigeant, l’obligation de s’en occuper. Mais surtout, à force de ne pas traiter ce qui doit l’être, de ne pas organiser, de ne pas clarifier ce qui est fait, de ne pas accorder de temps au détail concret des opérations – bref, de ne pas travailler en lumière et dans le réel -, des dérives graves apparaissent : fraudes, malversations, harcèlement, ruine d’autrui… Les exemples abondent dans les tribunaux, qui attestent de la fréquence du passage de l’impéritie à la concussion.
Les dirigeants – cadres comme administrateurs – ont un devoir de compétence opérationnelle, un devoir de gestion. La vertu de justice consiste en cela pour eux.
Justice et bonté
Enfin, saint Paul parle des circoncis beaux-parleurs, rebelles et charmeurs. Ceci vaut toujours. Nous, baptisés, ne sommes-nous pas ces circoncis, enflés de la foi mais rétifs aux enseignements de l’Église qui nous incommodent, et arrogants de notre condition sociale ? Quand il s’agit de demander l’obéissance de son prochain, ni milieu, ni brio, ni aucun signe de reconnaissance ou d’appartenance à quelque clan, à quelque élite, ne doivent compter pour rien. Seule la sainteté vaut.
Pour recruter un dirigeant, il n’est finalement que deux critères, justice et bonté : savoir gérer en étant bienveillant. Le reste est leurre et distraction.
Par Guillaume de Lacoste Lareymondie