Depuis la guerre du Golfe, la première, celle de 1991, nous avons l'habitude des leurres et tous genres. Ce dernier conflit avait été le premier ultra-médiatisé sans contradiction ni contre-pouvoir. Depuis, le fiasco de la seconde guerre en Irak, le fiasco afghan ou la guerre en Libye nous ont habitués à la vigilance. La guerre médiatique se truffe rapidement de leurres en tous genres.
Foulard de mort
Dix jours à peine après son démarrage, l'intervention au Mali faisait scandale à cause d'un cliché qui ne méritait pourtant rien. Un photographe avait saisi un soldat français debout, armé, et le visage masqué par un foulard à la tête de mort qui faisait penser à un jeu video. Editocrates, néophytes et bonnes âmes en tous genres se lâchèrent quelques heures durant contre ces soldats qui jouaient au va-t-en-guerre, au point que la haute hiérarchie crut bon lancer une enquête interne: « Vêtu ainsi, il ressemble à Ghost, un personnage du jeu vidéo de guerre "Call of Duty" », relatait-on. C'était faux et archi-faux. Comme l'expliqua Guy Birenbaum dès le lendemain de cette fumeuse polémique, le militaire ne faisait que se protéger du vent de sable; ce type de foulard est commun à l'armée, et ce sont même les jeux videos qui s'en sont inspirés.
Cette anecdote, tristement prévisible, illustrait combien il faut rester zen, distancié et méfiant avec les images rapportées de la guerre.
Philosophe en guerre
Il fallait inviter Bernard-Henri Levy. Impossible de faire autrement quand une nouvelle guerre à potentiel humanitaire se déroule à quelques heures de Paris. Le philosophe de gauche enrageait peut-être de n'avoir le statut de conseiller spécial comme il l'avait auprès de Nicolas Sarkozy du temps du conflit libyen.
Ce lundi 28 janvier, le voici regretter l'absence de l'Europe. Il enfonce les portes ouvertes avec une énergie non feinte. L'Europe politique reste un leurre. A quoi encore pousser des cris contre l'absence de leadership européen ? Comme toujours, BHL a la formule qui claque jusqu'à l'agacement: «l'Europe est en train de mourir à Tombouctou, et dans certains pays de l'Est et du Centre où le fascisme et le populisme divers remontent». Sans surprise, il est heureux de l'intervention française: « François Hollande a eu totalement raison de lancer cette guerre et l’Europe a totalement eu tort de ne pas l’accompagner».
BHL s'agite. En fait, il développe sur les ondes la même antienne que cette UMP désoeuvrée qui cherche un positionnement politique. Un machin à mi-chemin entre la trahison en grande pompe et l'effroi politicien. L'Express de Christophe Barbier livrait quelques-unes de ses colonnes à l'autre effroyable Arnaud Danjean, désormais Président de la sous-commission Défense et Sécurité au Parlement européen version PPE. Selon lui, la France est trop isolée. Pire, « reprendre le Nord-Mali et en chasser les islamistes armés, ce n'est ni
faisable seul ni souhaitable. Sauf à être prêt à prendre le risque
considérable de lourdes pertes et de dommages collatéraux. » L'ancien sarkozyste révèle quelque chose. Le sarkozysme est d'un courage limité.
Pourtant, les Européens avaient prêté une dizaine d'avions transporteurs pour la Misma. Le Monde citait aussi l'aide - modeste - des Emirats arabes unis et celle du renseignement américain.
Guerre propre ?
Dimanche, la rapide avancée des troupes franco-maliennes vers le Nord s'est déroulée sans combat jusqu'à Tombouctou. La presse officielle algérienne est ravie. On s'en doute. L'envoyé spécial d'Europe 1 s'esbaudit devant une telle réussite. Celui de France 2, dimanche dernier, se croit dans un remake de Paris brûle-t-il? version Tomboctou ("C'est bon mon colonel, la ville est à vous"). Nous avions également ces images des caméras militaires nous filmant quelques actions comme dans un mauvais jeu.
Il était difficile de ne pas penser à la seconde guerre en Irak. En mars 2003, les troupes américaines et de leurs alliés avaient pénétré l'Irak jusqu'à Bagdad comme un couteau aiguisé dans une motte de beurre tiède. On connaît la suite. Mais la comparaison s'arrête là. Les organisations islamistes qui contrôlent le Nord du pays et menaçaient de fondre sur le Sud et Bamako sont bien différentes de l'ancienne armée irakienne. Le Mali n'est pas l'Irak. Notons simplement qu'une grande prudence est nécessaire.
L'absence de combats et/ou de morts est un autre leurre. La guerre propre n'existe pas.
Une douzaine de civils auraient été tués lors de raids français dès le premier weekend de l'intervention, le 12 janvier dernier. La révélation est de THE INDEPENDENT, relayé en France par Arrêt sur Images. Le quotidien britannique est avare en détails, notamment sur ces sources. Jusqu'à lors, cette guerre était étonnamment propre.
Guerre sale
Lundi, Hollande a réagi. La France n'ira pas débusquer Aqmi dans ses montagnes. « La France n'a pas vocation à rester au Mali. En revanche, notre devoir c'est de faire en sorte que nous puissions permettre aux forces africaines de donner au Mali une stabilité durable. » L'objectif est de reconquérir les villes.
Et après ?
Après, des actions terroristes sont à craindre, en ville ou ailleurs. Lundi soir, les autorités françaises ont précisé la chose. Des menaces du côté nigérian ont été reçues.
La guerre propre n'existe pas.
A gauche, certains aimeraient que la France plie bagages, immédiatement.
Et après ?
La diplomatie facile n'existe pas.