Retour sur quarante ans de combat politique de Ron Paul, un homme politique américain hors normes.
Par Benoît Malbranque
Ron Paul
15 août 1971. Le décor est sombre et la mine est grave. Dans un discours à la Nation, le président américain Richard Nixon annonce à la télévision la fin de la convertibilité du dollar en or. A travers le pays, les réactions sont peu nombreuses et peu expressives. Et pourtant, dans le sud du Texas, un gynécologue de 35 ans y voit le début d'une catastrophe monétaire — le premier pas sur le sentier de la déflation sévère, de l'inflation ravageuse, et des déficits incontrôlables. Il se présente aux élections et entre à la Chambre des Représentants en 1976. La carrière de Ron Paul vient de commencer.
Le marginal
Ses premiers chevaux de bataille sont la politique monétaire d'un côté et la politique étrangère de l'autre. Disciple de l'école autrichienne et défenseur d'un État recentré sur ses fonctions minimales, Ron Paul tient dans les deux cas un discours peu commun, même aux États-Unis.
A l'occasion de sa première candidature à la présidentielle, Ron Paul est reçu dans le Morton Downey Show. Sa candidature n’est pas prise au sérieux, et lui-même semble invité pour distraire. Provocateur, le présentateur demande à l'un des interlocuteurs : « Est-ce que vous seriez prêt à partir vous battre au Vietnam avec ce barge à la Maison Blanche ? » Sans attendre la réponse de l’intéressé, Ron Paul réplique immédiatement : « There would be no Vietnam War » (Il n'y aurait pas de guerre contre le Vietnam). Il est hué par le public, et sa défense de la légalisation des drogues fait naître d’autres réactions similaires.
Dix ans plus tard, c’est sans risquer la contradiction qu’il pourra affirmer que « la guerre au Vietnam était un fiasco. Nous commerçons avec le Vietnam désormais. C’est une bien meilleure manière de fonctionner que de vouloir imposer notre volonté en allant là-bas et en y lâchant des bombes. » (1998)
Au Congrès, il continue de prôner ses valeurs de liberté individuelle et de non-interventionnisme, ainsi que de proposer des lois et amendements afin de désengager l’État de l’économie, de réduire les déficits, de stopper la dévaluation du dollar, ou de retirer les troupes américaines des terrains d’opérations où, démocrates comme républicains, avaient jugé bon de les envoyer. Sur ce point, après s’être opposé à la guerre au Vietnam, il s’oppose alors à la guerre en Irak puis à la guerre en Afghanistan. « La paix et l’harmonie ne peuvent jamais être obtenues par les bombes et l’intimidation » continue-t-il de répéter.
Le prophète
Telle avait été la cause de son engagement politique et tel resta encore longtemps son domaine de prédilection. Après plus de vingt ans passés à dénoncer la politique monétaire d’après 1971, Ron Paul ne cesse, au tournant du siècle, de se faire entendre sur ces sujets. « La cause de nos problèmes est la Réserve fédérale » répète-t-il en vain devant le Congrès. Il reste considéré comme un marginal.
Tandis que la Fed s’engage dans une politique de taux bas dans l’espoir de dynamiser la croissance après l’explosion de la bulle internet, Ron Paul se fait plus acerbe dans les critiques. Appuyé par les travaux des économistes autrichiens, il comprend que cette politique, ainsi que l’interventionnisme du gouvernement américain, mènera à une crise prochaine et inévitable. Dans un discours le 6 septembre 2001, il explique avec clairvoyance : « L’expansion du crédit créée par la Réserve fédérale durant les huit derniers mois n’a pas stimulé la croissance du secteur technologique ou industriel, mais a pour beaucoup contribué au gonflement d’une bulle immobilière. Fannie Mae, Freddie Mac, et la Banque fédérale de prêts immobiliers, ont essayé de dynamiser le marché immobilier, mais au lieu que les nouveaux fonds soient directement dirigés vers les marchés financiers, ils se dirigent maintenant vers une bulle immobilière en croissance rapide. Cette bulle explosera, comme toutes les bulles le font. »
Ron Paul continue à être ignoré, voire moqué. Pourtant, rétrospectivement, ces analyses sont impressionnantes de lucidité. Au milieu d’hommes politiques et d’économistes floués par le semblant d’euphorie économique ou tout simplement trop peu compétents pour comprendre les fluctuations économiques, Ron Paul anticipe la crise de 2007-2008 avec une telle précision qu’il est tentant de citer ses mots. Ainsi qu’il l’explique dès septembre 2003, « les privilèges spéciaux accordés à Fannie Mae et Freddie Mac ont faussé le marché de l’immobilier, en leur permettant d’attirer des fonds qu’elles n’auraient pas su attirer dans des conditions normales de marché. Comme toutes les bulles artificiellement créées, le boom dans l’immobilier ne durera pas indéfiniment. Quand les prix de l’immobilier chuteront, les propriétaires feront face à des difficultés puisque leur patrimoine sera anéanti. Par ailleurs, les détenteurs de dette hypothécaire subiront également des pertes. Ces pertes seront plus importantes qu’elles n’auraient été si des politiques gouvernementales n’avaient pas activement encouragé un surinvestissement dans l’immobilier. »
L’alternative
Rien n’a autant participé à faire de Ron Paul une personnalité politique de premier plan que sa candidature aux primaires républicaines pour la présidentielle de 2008. Il y présenta une alternative crédible, dynamique, et enthousiasmante.
Opposé à toute intervention militaire extérieure, et, dans un même élan, à toute intervention de l’État dans l’économie — deux faces d’une même pièce, selon les libertariens — Ron Paul séduisit tout autant les démocrates frustrés que les républicains déçus par les deux mandats de G.W. Bush.
Au sortir d’une campagne qui l’aura fait devenir aussi bien la coqueluche de millions d’américains, et la risée des médias mainstream, il décide de ne pas soutenir le candidat John McCain, considérant que les différences avec son opposant sont peu nombreuses. « Chacun des deux candidats a soutenu la guerre en Irak et sa continuation, explique-t-il devant le Congrès. Chacun d’eux a soutenu le Patriot Act et son attaque controversée sur la vie privée. […] Chacun des deux candidats a défendu des hausses de dépenses dans presque tous les domaines. »
Le leader
Ron Paul devient l’homme d’un mouvement, à défaut d’être celui d’un parti. À l’évidence, l’émergence du Tea Party comme force politique de première importance, et la victoire des républicains aux élections de mid-term en 2010, doivent beaucoup à son énergie et à sa popularité.
Symbolique de cette influence nouvelle est sa nomination à la direction de la commission auditionnant les membres de la Réserve fédérale, dont Ben Bernanke. Après ses attaques nombreuses, la plus énergique étant son livre End the Fed, paru en 2009, il eut alors l’occasion de débattre de la politique monétaire avec ceux qu’il considérait être la cause de tous les maux, ainsi que d’amener des économistes autrichiens pour participer aux discussions.
Le candidat
À l’été 2011, Ron Paul prend sa décision. Malgré son âge, ses maigres chances de victoire, et le peu d’attention que les médias portent sur son activité politique, il choisit de répondre à l’enthousiasme qu’il avait en partie lui-même fait naître. Les primaires républicaines sont généralement mouvementées, voire violentes. Tandis que les favoris apparaissent et disparaissent au gré des sondages, Ron Paul profite des débats pour consolider et agrandir sa base de supporters et d’électeurs.
Loin d’être resté le marginal qu’il était malgré lui à la fin des années 1980, Ron Paul aura pu se targuer d’avoir influé de manière très nette sur la ligne du GOP et sur les grands sujets débattus. La politique monétaire de la Fed fait naître une quasi-unanimité au sein du parti, tout comme le désengagement de l’État de l’économie. Lors d’un débat, l’ex grand favori Rick Perry complimentera Ron Paul pour son travail sur les questions monétaires et la Réserve fédérale, tandis que Mitt Romney saluera l’enthousiasme que son adversaire aura fait naître chez beaucoup d’Américains, en expliquant : « Partout où nous allons, les seuls pancartes que nous voyons sont celles des supporters de Ron Paul. Il fait naître un enthousiasme qui est très beau à voir. »
En juillet, lorsque s’achèvent douze mois d’intense campagne, Ron Paul présente à la Convention Nationale le deuxième plus grand nombre de délégués, juste derrière Mitt Romney. De manière visible, il est devenu une force avec laquelle il faut compter.
L’influence d’un homme
En 1976, Ron Paul pensait son élection impossible — et pourtant il l'emporta, et fut réélu à douze reprises. En quarante ans de carrière, il a transformé la droite américaine d’une manière plus profonde et plus durable que tout autre de ses contemporains. Parce que le message de liberté qu’il porte avec foi depuis le début des années 1980 a fini par résonner dans le cœur de nombreux Américains.
Nous avons tort d’être étonné par l’influence qu’un seul homme peut avoir sur le mouvement intellectuel de son pays. Pour reprendre les mots de Margaret Mead, « ne doutez jamais du fait qu’un petit groupe de citoyens sérieux et engagés puissent changer le monde. En réalité, il n’y a que comme cela que le monde change. »
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