Selon vous, pourquoi l’Europe s’enfonce-t-elle dans une telle crise ?
Michel Santi : C’est une tare congénitale qui est responsable du déclenchement de la crise subie par l’Union depuis trois ans. Cette superstructure, fiscalement et budgétairement décentralisée, est effectivement aux sources de son amplification. Comme les nations européennes périphériques sont privées du monopole d’émettre la monnaie avec laquelle elles s’endettent, les prêteurs considèrent dès lors qu’elles empruntent dans une devise qui leur est étrangère. En outre, cette absence d’intégration fiscale et budgétaire des membres de l’Union y exacerbe les tensions financières, car les déboires des établissements bancaires nationaux contaminent irrémédiablement leur pays de tutelle. Le système financier et les États interagissent en effet très différemment selon que l’union monétaire soit décentralisée ou qu’elle soit de type fédéral. La solvabilité d’un État membre des États-Unis d’Amérique n’est ainsi nullement remise en question par la faillite d’une banque incorporée et domiciliée dans l’État en question. Les seules et uniques réponses de l’Allemagne et des fourmis nordiques consistent à insuffler aux cigales sudistes la culture de la rigueur et de la discipline, préalables indispensables à l’intégration fiscale et budgétaire européenne.C’est parce que la séquence exigeant d’équilibrer les budgets et de restreindre dettes et déficits fut en effet le point de départ de cette Union, dont tout devait découler. C’est donc la forme qui fut privilégiée, au détriment de la substance et au mépris de la solidarité. Ce faisant, cette construction décentralisée sous estimait grossièrement les vulnérabilités des pays ayant une inclination naturelle aux déficits, ou simplement confrontés à des difficultés ponctuelles. Pays particulièrement dépendants des influx de capitaux privés, dans un contexte où ils n’avaient nulle latitude de battre leur monnaie. Autrement dit, le pêché originel fut de mettre en place l’euro avant l’union fédérale et en l’absence d’institutions organiques consacrant une intégration en bonne et due forme. L’euro a ainsi affaibli les pays du noyau européen. Et il a rendu inévitable la formation de bulles spéculatives dans les pays périphériques, qui ne pouvaient plus désormais compter que sur ces bulles pour entretenir et pérenniser leur activité économique. En réalité, les tourmentes financières de l’Union ne sont que le symptôme profond du mal endémique de la construction européenne relégué au second plan la croissance et l’emploi.
Quelles solutions apportées à ces problèmes ?
M. S. : C’est donc forcément de l’intérieur de l’Union que viendra la solution et elle est une et unique car elle se résume en une consommation allemande (et nordique) plus importante. Il est vital pour l’ensemble de l’Union que ce « gap » de compétitivité intra européen soit rapidement comblé par des nations européennes périphériques qui intensifient leurs exportations. L’Allemagne devra donc impérativement stimuler sa croissance, probablement (mais pas seulement) en réduisant sa taxation, afin de participer activement à ce ré équilibrage intra européen. La zone euro, dans son ensemble, a ainsi désespérément besoin d’une relance de sa consommation intérieure. Et ceci passera nécessairement par une relance de la consommation allemande. Une nation souveraine et des dirigeants dignes de ce nom peuvent – et doivent – dépenser plus que leurs recettes ne leur permettent, si leur objectif est bien de juguler la récession. Une nation et un ménage doivent donc appliquer des stratégies diamétralement opposées dès lors que leurs revenus s’effondrent tandis que la diminution des dépenses de l’individu a un effet négligeable sur l’économie de son pays, la réduction du train de vie du secteur public a un impact désastreux sur le secteur privé comme sur la consommation. Tout autre stratégie est donc vouée à l’échec.En outre, l’intégralité des pistes sont caduques et restent sans effet si l’État décide de réduire drastiquement son train de vie. Keynes nous l’enseignait déjà : les dettes ne doivent être remboursées qu’en cas d’embellie économique. Sinon : la croissance est condamnée à être étouffée dans un environnement où l’activité est très fragile. Hausses d’impôts, remboursement des dettes et réduction de la dépense publique ne peuvent se concevoir sans risque que dans un cadre économique sain. Il faut donc refuser tout net ces programmes insensés d’économies, comme il est impératif de s’opposer à toute réduction des dépenses sociales, dont l’efficacité est systématiquement démentie par la réalité. Car l’État doit au contraire se montrer généreux et investir dans son économie – c’est-à-dire augmenter ses déficits ! – tant que perdure ce contexte récessionniste. Les seules et uniques voies de salut consistent donc aujourd’hui en des mesures typiquement keynésiennes. Seule l’intervention stimulatrice de l’État à même d’encourager l’investissement et la création d’emplois peut effectivement sauver l’économie, en l’absence d’initiative privée et dans le cadre d’une demande anémique.