Plutôt que de traiter d'une attraction ou d'une ville, aussi charmante soit-elle, il traite d'un phénomène que j'ai remarqué à Londres dès mon premier passage de ce séjour de quelques mois, et qui s'est avéré une observation pertinente, à en croire divers articles que j'ai lu sur le sujet par la suite.
Ce phénomène est l'incroyable développement en hauteur et en modernité de The City, le quartier financier du centre-ville de Londres. Ici, on ne vois pas la récession dont tout le pays parle. Ici, au centre financier de l'Europe, ce que l'on voit, c'est l'expansion, les constructions, les gratte-ciels qui poussent, plus hauts et plus modernes les uns que les autres. Ceci a quelques impacts immédiats sur un visiteur comme moi. Le premier, c'est qu'il est ardu de bien profiter du paysage, tant il y a de constructions et de grues partout, partout.
Par exemple, si j'avais voulu vous présenter une belle photo de "l'oeuf", qui a été pratiquement le premier de ces édifices modernes aussi haut dans The City (il remonte au premier tiers des années 2000), j'aurais dû le faire avec ce genre d'image, c'est-à-dire une photo où on aperçoit surtout un autre édifice en construction, ce qui gâche un peu la photo.
Idem pour les rares édifices historiques qui existent encore dans The City, qui se retrouvent, avec ces constructions, noyés dans une mare de modernité. Ils est donc difficile - voir impossible - de les isoler sur une belle photo. Un exemple assez patent ici, sur Tower Hill, où l'édifice que l'on voit principalement, est celui en construction.
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L'autre impact est évident pour qui déambule dans la Cité, puisqu'il est à peu près impossible de faire 100 mètres sans tomber sur un chantier, une déviation, un trottoir bloqué, ou une rue inaccessible... sans parler du bruit que ça engendre.
Le phénomène s'est étendu à quelques autres quartiers à l'extérieur de The City. C'est le cas de The Shard, le nouvel édifice iconique (temporaire, en attendant le suivant) construit sur la rive sud de la Tamise. Ici, impossible de prendre cette maison historique en face de la Tour de Londres sans avoir ce tesson de bouteille pointu dans le portrait. (Je voulais recadrer sur la droite, mais des grues géantes apparaissent alors immédiatement dans le cadre).
Dans mon billet sur la Tour de Londres, par exemple, on ne voit pas les efforts que j'ai parfois dû mettre pour me trouver un angle de prise de vue particulier, afin de conserver un peu l'esprit du lieu au lieu de me retrouver avec seulement des photos comme celle-ci. Avouez qu'avec le Shard et les grues sur la rive nord, cette vue de la Maison de la Reine n'a pas le charme voulue pour parler du 16e siècle.
Avec ces édifices aussi hauts, il est virtuellement impossible de les éviter, même à des kilomètres de The City, comme ici, par exemple, sur cette photo de Southwark Cathédral (dont la construction remonte à 1220 mais qui incorpore aujourd'hui des ajouts de 1420 et une nef du 19e siècle, mais parle-ton du 13e siècle en montrant une telle photo?).
Même lors de prises de vues serrées à l'intérieur même de la forteresse de la Tour de Londres, je devais porter une attention constante à ce genre de détails. Une fois de plus, on peut comparer cette photo-ci avec celle publiée dans mon billet sur la Tour.
Les vues panoramiques deviennent rapidement de vrais cauchemars pour le photographe aux prises avec ces nouveaux édifices ou ces chantiers en altitude.
La chose pourrait paraître inévitable, puisque pour que l'économie roule, pour retrouver la croissance, et remettre les affaires d'un pays sur les rails, on peut se dire que les inconvénients sur les photographes et les touristes ont peu d'importance... mais en fait, ces édifices, pour le moment, ne servent pas à grand chose, car ils sont, pour la plupart, vides.
Cette information - qui rejoint une observation que j'avais déjà fait sur les nouveaux projets de centres commerciaux de Leeds alors que les arcades historiques se vident - elle m'a été confirmée par diverses sources, dont un article dans le journal City AM.
Dans le tableau préparé par le journal - dans un article qui date du 18 décembre 2012 et que j'ai ramassé lors de mon passage dans la capitale - on passe en revue les taux d'occupation actuels des 5 plus récentes constructions en terme d'importance et d'espace de bureaux. Des deux plus "vieux" édifices (2010), l'un a finalement été complètement loué en 2012, et l'autre est toujours entièrement vide. Celui terminé en 2011 est encore entièrement vide. Le Shard, terminé en 2012, n'est loué qu'à 30%, et encore, ça a pris un hôtel pour ce faire, aucun espace de bureau n'y est loué pour le moment. Ceux qui seront terminé l'an prochain sont loués à 23 et 51% seulement. Devrait-on parler d'une bulle de la construction? Ah, l'industrie de la construction va bien, mais c'est visiblement une illusion... D'autres articles - dont un sur lequel je reviendrai éventuellement dans un futur proche - parlent du phénomène et articulent une série d'explications, dont certaines montrent à quel point le modèle capitaliste standard n'est pas viable, et qu'en fait, plus souvent qu'autrement, ses réussites reposent sur des faussetés ou des arrangements malhonnêtes. (Clairement, dans le cas de l'immobilier à bureaux de The City, la demande ne justifie aucunement tous ces projets et cette offre grandissante, la théorie économique ne justifie en rien leur construction, dont pourquoi voient-ils le jour, et au profit de qui?).
Bref, pour bloquer la vue sur les belles vue de Londres, on construit... du vide... et on le fait en se faisant croire que l'économie de la ville - et du pays - ne se porte pas si mal... On dirait plutôt qu'on donne assez d'oxygène à un mourant pour qu'il respire jusqu'à la salle d'autopsie.
Pour apprécier cette dernière photo, je vous invite à regarder la dernière photo publiée en décembre dans ce billet sur Londres. On comprendra rapidement pourquoi j'avais dû recadrer ce panoramique pour en faire une vue au format standard... et tout ça pour du vide... Ce phénomène existe un peu partout à diverses échelles (il n'y a qu'à observer le marché du condo à Montréal) et mais avec une telle ampleur, il ne fait qu'illustrer le gaspillage de ressources et la bêtise humaine, il me semble.
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