Amazon, Google et iTunes et la musique

Publié le 29 janvier 2013 par Philippe Delaide

J'avais déjà évoqué à plusieurs reprises la chute inexorable de la vente de CDs, notamment dans le domaine de la musique classique (cf. notes du 28 janvier 2008, du 28 juin 2008). Après Harmonia Mundi qui ferme 8 de ses 45 boutiques, l'annonce du dépôt de bilan de Virgin a suffisamment secoué la presse pour qu'elle s'en fasse largement l'écho depuis plusieurs semaines.

Cette actualité récente montre que deux révolutions d'ailleurs s'opèrent : la substitution du CD par le téléchargement et le transfert de la vente des CDs, des points de ventes physiques (type Virgin Megastore ou FNAC) vers les sites E-Commerce, notamment des "pure players" comme Amazon et iTunes qui ont pris de fortes positions depuis 3 ans. Il y a également une banalisation d'une fausse notion de gratuité, indépendamment du téléchargement illégal, que véhiculent des opérateurs comme Google via, par exemple Youtube, les sources de revenus n'étant plus directement issues des utilisateurs, mais de revenus publicitaires...


Rayon nouveautés musique classique de la FNAC la Défense - janvier 2013 : Philippe Jaroussky cotoie les maintenant inévitables Voix de Dieu et André Rieux.

Virgin et la FNAC n'ont visiblement pas suffisamment intégré dans leur stratégie la force de la vague de dématérialisation et semblent avoir, à tort, raisonné comme si un développement de leur plate-forme E-Commerce risquait de cannibaliser leurs ventes en magasin. Résultat des courses, c'est bien Amazon et iTunes qui les ont cannibalisé et ces réseaux traditionnels qui n'ont pas été assez ambitieux dans le transfert de leurs revenus des boutiques au site marchand finissent par disparaître. Le verdict a été le même pour l'enseigne Tower Records qui a déposé le bilan aux Etats-Unis et au Royaume Uni.

En tant que "consommateur" de musique, force est de constater en outre que ce cercle vicieux conduit à une accélaration de l'achat en ligne. La FNAC ne joue plus, par exemple, son rôle de conseil. D'année en année, le nombre de références en magasin est réduit à une peau de chagrin et quand on veut commander un CD qui n'est pas en rayon il vous arrive que le vendeur vous conseille plutôt de l'acheter sur Amazon car, là au moins, on a de fortes chances de l'avoir sous 24 à 48h. Il faut clairement reconnaître qu'il y a maintenant très peu de différence entre un rayon classique de la FNAC, de VIrgin avec le même rayon (quand il existe !) de Carrefour ou d'Auchan... Le cercle vicieux "peu de références = baisse des ventes = diminution du nombre de références à cause des faibles ventes" est inéxorablement engagé.

La crise touche d'ailleurs l'ensemble de la chaîne de valeur. Il ne suffit pas d'évoquer la partie en aval et liée à la distribution. La création et la production connaissent également une crise sans précédent avec des grands labels aux structures très "corporate", qui ne sont finalement devenus que des sociétés de marketing, exploitant sans imagination un fonds de catalogue resservi X fois sous des formats différents et dont l'aversion maladive du risque les conduit à toujours produire les mêmes artistes.

Cette industrie, dans une sorte de sursaut, d'instinct de survie, vient maintenant à s'en prendre aux grands moteurs de recherche comme Google, ou plus spécifiquement sa filiale Youtube, leur reprochant de leur confisquer une partie de la chaîne de valeur (cf. article du Figaro d'aujourd'hui). Ceci n'est pas tout à fait faux car Google finalement exploite gratuitement, via les postings des internautes - mais aussi des maisons de disques qui veulent faire leur promotion avec leur chaîne youtube ! - les contenus pour tirer des revenus via le processus vertueux "contenu -> audience -> tarifs publicitaires en fonction de l'audience -> hausse des revenus".

Des discussions seraient d'ailleurs en cours entre Google et la SACEM pour que le moteur de recherches reverse à cette dernière une partie des revenus publicitaires qu'il tire et qui sont liés, notamment, à ses diffusions sur Youtube. Ce serait de toute façon une bonne nouvelle pour les artistes qui se retrouvent de facto pris en otage dans ce transfert des chaînes de valeur.

La révolution est bien en marche mais malheureusement pas tout à fait dans l'intérêt, ni des artistes qui seront toujours portion congrue dans cette nouvelle chaîne de valeur, ni pour les mélomanes. Pour ces derniers, le transfert, lorsqu'ils sont exigeants sur la qualité des supports de diffusion, vers le numérique dématérialisé est tout de même vécu comme une sorte de régression. La seule exception est Qobuz qui propose une "vraie qualité CD" en ligne. Quant au contact avec l'objet CD, au lieu de feuilleter un livret en papier glacé où tout un travail éditorial vient apporter un éclairage souvent précieux sur l'oeuvre que l'on écoute, on devra se contenter de consulter un fichier "pdf" à l'écran ou imprimer ce dernier sur du papier A4 de base...

Faute de disquaire, de galette en plastique, de livret, si on cherche à retrouver des signes tangibles d'humanité, il reste les concerts. Quoique...