Kim Kyung-mook. Ce jeune homme de 27 printemps qui considère le cinéma comme un art du temps fut le cinéaste qui eut droit aux honneurs de la section Portrait du Festival du Film Coréen à Paris, 7ème édition, en 2012. La date a son importance puisque le réalisateur du long-métrage Stateless Things (2012) nous présentait ses travaux antérieurs dont certains remontent à plus de sept années, là où il n’avait qu’à peine 19 ans notamment lors de sa première mise en scène.
Si l’on peut parler de ses œuvres comme étant du cinéma, elles seraient à classer dans le registre « expérimental ». Lorsqu’on découvre les travaux filmiques de Kim Kyung-mook, on découvre un univers riche et décontenançant. Si ses travaux sont un art alors il est un artiste torturé qui s’exprime par le biais de sa caméra. On peut donc voir ses travaux expérimentaux comme différents chapitres qui composent un journal intime dans lequel il y expose ses doutes et ses peurs. Il y interroge son identité propre comme il y révèle sa vision du monde. Véritable exécutoire, Kim Kyung-mook s’ouvre corps et âme dans chacun de ses travaux qu’ils soient courts ou longs. Il s’affranchit de toutes contraintes cinématographiques et offre un cinéma singulier. En dehors de tout carcan scolaire (audiovisuel) et en véritable autodidacte, il se crée une identité artistique propre au gré des sentiments qui le contaminent en son for intérieur. La force de son cinéma aussi déroutant qu’il puisse être, c’est dans cette liberté qui rompt avec le classicisme du cinéma comme on le connait. Il se complait alors dans un anti-conformisme qui pourrait exhorter des qualificatifs comme grossier, tape à l’œil, faussement provocateur,… mais qui se révèle avant tout comme le travail, les nerfs à vifs d’un cinéaste à fleur de peau. Un travail qu’il est difficile de pleinement assimilé, sans prendre le recul nécessaire de chacune de ses œuvres. Ces dernières aussi différentes qu’elles soient l’une de l’autre se font écho en apportant une compréhension à un univers tourmenté et décomplexé.
Dans son premier film, Me & Dollplaying (2004), Kim Kyung-mook narre le récit autobiographique d’un jeune homme qui se découvre homosexuel. Réalisé dans le cadre d’un atelier de cinéma documentaire, ce court-métrage est une introspection de son auteur qui flirte avec l’exhibitionnisme de ses sentiments, de son « moi ». A travers l’animation de poupée et de dessins, Kim Kyung-mook se raconte en faisant état de sa psyché du moment. On n’est jamais bien loin du film à la sauce « télé-réalité » qui ramène à sa petite personne une certaine forme de néant. Si ce n’est celle de nous faire partager son coming-out et de l’exprimer ainsi aux yeux de tous… mais là encore, on pourrait s’interroger sur le fond comme la forme. En attendant, Kim Kyung-mook sait se raconter et offre un film dont l’emploi des poupées n’est pas dénué d’intérêt.
L’année suivante, Kim Kyung-mook signait un court et un long-métrage. Le premier, Peace in Me (2005) est une séquence contemplative d’un quart d’heure. Le cinéaste pose sa caméra et filme en discontinue le temps qui s’écoule. Ce court-métrage qu’on pourrait qualifier de pur exercice de style interroge sur ses qualités cinématographiques intrinsèques. Le seul véritable atout étant la relation que l’auteur entretient avec le son qu’il accompagne de ses images (la séquence Rainy Noon). Il crée des contrastes bienvenus. Pour le reste… ambiance salle d’exposition.
La même année, Kim Kyung-mook offrait en un peu plus d’une heure, scindée en deux parties Faceless Things (2005). La première (plus longue), caméra fixe (censée être cachée) narre l’histoire d’un homme d’âge mûr, éditeur de son état qui entretient une relation avec un lycéen. Par le biais d’un plan-séquence, on retrouve ce couple dans une chambre d’hôtel entre discussion autour de leurs relations et partie de jambe en l’air. Ce segment rappelle fortement un cinéma dit d’auteur contemplatif dans lequel on laisse vivre ses personnages devant l’objectif de la caméra. Kim Kyung-mook y traite de l’homosexualité mais également de l’adultère ainsi que des relations amoureuses intergénérationnelles. Si le procédé n’est pas inintéressant ainsi que les sujets traités, ce segment aurait mérité d’être mieux écrit et plus condensé. Il aurait ainsi suscité un intérêt plus accru et évité la lourdeur du procédé. Une brève scène dessinée, pêle-mêle d’idées enragées et provocatrices fait le lien et nous emmène vers le second segment de Faceless Things…
Comment pourrions-nous le définir ? Une espèce de film pornographique scatophile (tendance mix-vidéos Papayoutesque). Chaque spectateur normalement constitué, psychologiquement parlant (selon la norme) ne peut qu’être dérouté devant la tournure que prend le récit. On quitte une chambre et un couple pour en retrouver une autre et un autre. La grande chambre d’hôtel du premier segment fait place à une chambre minuscule dans laquelle un homme tente de déféquer dans la bouche d’un deuxième, ce dernier ayant recouvert son visage d’un plastique. Il restera à nos yeux interloqués l’homme mystère (et pas que). Si les lieux et les couples changent, le sentiment de malaise, lui reste. Un sentiment qui se renforce à mesure que ce second segment avance. Il y a peu de qualificatif qui pourrait exprimer au mieux ce « happening » : troublant, déconcertant, abject, embarrassant et j’en passe. Sincèrement, à part être un morceau provocateur qui semble ériger un doigt d’honneur au monde (c’est à dire aux spectateurs) ce segment n’a aucun intérêt. Il tombe un peu comme un cheveu sur la soupe. Le premier segment quoiqu’inégal se suffisait à lui-même. On comprend mal la démarche de l’auteur qui se met en scène (l’homme qui doit déféquer, c’est lui) en filmant avec un caméscope au rendu franchement dégueulasse une telle scène. Elle ne renforce en rien son propos et s’avère futile et gratuite. Un exemple de plus de l’amateurisme qui n’a rien à exprimer et qui s’exhibe pour faire parler de lui.
Du coup, l’impact de Faceless Things est quasiment annihilé par la faute de ce segment qui ne trouve aucune explication. A l’occasion, l’auteur pourra toujours se justifier en disant que c’était le but recherché… l’Art a des visages parfois que l’on ne soupçonnait pas !
A Cheonggyecheon Dog (2007) est un film un peu « fou » et surréaliste de 61 minutes dans lequel une multitude de genre et de style sont brassés. Entre drame et comédie, humour et tragédie, Kim Kyung-mook nous narre l’histoire d’un homme qui se rêve en femme. Il y traite de sujet aussi divers que le travestissement et la transsexualité sur fond de société qui change trop vite. Le court-métrage s’ouvre sur un procédé joli et bien pensé. Un plan fixe dont un travelling arrière nous fait prendre conscience que c’est un tableau accroché à un mur. Un procédé que l’auteur reprendra par la suite. Dans ce film, Kim Kyung-mook mélange allègrement les artefacts du film muet en passant par le clip musical coloré contrastant avec des scènes en N&B plus sombre (viol). Ce « joyeux » fourre-tout détraqué nous montre un homme travesti en femme qui fait l’amour au téléphone, un chien qui s’exprime par le biais d’intertitre, un policier qui traque notre personnage principal en prenant l’apparence d’un chien-loup et bien d’autre chose encore. Autant dire que ce travail du cinéaste sud-coréen laisse parfois pantois. Entre moments qui font mouches et d’autres qui plombent le récit, la finalité d’A Cheonggyecheon Dog reste un sentiment mitigé. On sent du potentiel mais des idées à foison, parfois superflues s’avère mal gérées.
Le dernier des travaux courts que Kim Kyung-mook mit en scène avant son long-métrage « officiel » était SEX/LESS (2009). Un écran divisé en deux. Pas de son. Plan fixe. Un jeune homme sur l’écran de gauche dont le visage est filmé en gros plan (le plan de l’analyse psychologique si je ne m’abuse). De longues minutes s’écoulent avant que la deuxième partie de l’écran ne s’anime à son tour. On peine à distinguer les mouvements qui attirent l’œil plus ou moins masqués par des filtres. Expérimentale toujours, le jeune cinéaste sud-coréen nous offre un moment dont émane l’ennui. Il ne se passe rien si ce n’est voir un jeune homme se masturber en off de la caméra. Les images qui se jouent à côté pourraient être celles de son imaginaire plein de fantasmes sexuels. L’intérêt de SEX/LESS est très limité. Le procédé, captivant est plombé par la durée, tirée à son paroxysme. Pourquoi pas mais bon… les meilleures blagues sont souvent les plus courtes.
Que nous apprennent les œuvres filmiques de Kim Kyung-mook ? Qu’elles ne parviennent à vivre l’une de l’autre, aussi hétéroclite quelles soient. Elles participent à un « tout » qui interpelle sur leur présence dans une salle de cinéma. La légitimité même de leur projection dans les salles obscures se pose (comme ce fut le cas durant la 7ème édition du Festival du Film Coréen à Paris). On se demande si ce travail ne serait pas plus prompt à être découvert dans une salle d’exposition ou une salle d’art & essai ouvrant ses portes à des artistes de tout bord. Un travail, véritable expérience à part entière qui pourrait être ponctué d’indice pour mieux appréhender l’univers de l’auteur. Si l’on devait juger ce travail d’un point de vue extérieur, sans piste pour le comprendre, on risque fort d’être peu enclin à l’épouser, rebuté par sa forme qui alourdit malgré lui le fond, un fond rempli d’idées désordonnées. Kim Kyung-mook n’est rien d’autre qu’un artiste malade mais un artiste qui se soigne par « son Cinéma ».
I.D.