Après la pluie, le beau chant.
Et si la météo capricieuse, le soleil paresseux et les pluies diluviennes avaient une incidence sur la musique et plus particulièrement la pop ? Vous m’objecterez que la Californie, qui ne joue pas dans la catégorie « patelin perdu », a couvé dans sa chaleur ouatée nombre de formations influentes jusqu’à inventer la Sunshine Pop ! Fichtre. Mais la mère de la pop n’est pas l’Amérique mais bien l’Angleterre monotone, un brin conservatrice – en apparence seulement – balayée par les autans et fouettée par les ondées. On comprend pourquoi sa jeunesse préféra longtemps s’exiler dans ses intérieurs austères mais feutrés pour inventer tranquillement – entre deux tasses de thé – les pop songs qui allaient contribuer à sa gloire et faire sa fortune. À quelques encablures en ferry se niche Granville. Pas vraiment grande, la ville. Mais suffisamment pour y abriter quelques têtes blondes rêvant d’inscrire dans le grand livre de la pop un chapitre, voire un alinéa. À Granville donc où l’horizon est en permanence brouillé par un rideau d’averses, une fille et trois garçons s’amusent à écrire des chansons en cajolant leurs guitares. Sans doute pour tuer le (mauvais) temps et tromper l’ennui. Peut-être aussi par goût et de goût, ils n’en sont pas dépourvus. Lorgnant vers l’Angleterre tout en gardant un pied – marin – sur la terre ferme de Normandie, nos apprentis sorciers pop s’imaginent en stars yéyé deux point zéro. Fidèles à leurs racines – géographiques cela s’entend – ils chipent leur nom à leur bourgade. Ils seront Granville, un espoir de plus à mettre au crédit de cette scène française qui enfle mois après moi, à la vitesse grand V. D’autres trublions sont ainsi attendus qui revitalisent leur propre langue avec un sens aigu de la musicalité. Granville c’est, si j’ose dire, la crème de la pop Françoise, un groupe hardi lorsqu’il s’agit de trousser des mélodies accessibles, suaves et pénétrantes. À l’aise dans un format court, Granville reprend les standards classiques, couplet-refrain-pont avec une fraîcheur qui ne doit pas seulement au micro climat local. Surtout, le groupe déjoue habillement tous les pièges dans lesquels les jeunes formations enthousiastes mais novices plongent trop souvent. Premier motif de satisfaction, l’instrumentarium qui se résume ici à des guitares incisives et aigrelettes - façon Smiths - et quelques claviers discrets. Aucun effet superflu, aucune forme de diversion ramenant leur musique vers un passé fantasmé mais franchement inatteignable même si certaines chansons possèdent un capiteux parfum d’autrefois comme Jeans Troués. Deuxième atout, les paroles : légèrement référentielles mais pas trop, simples, efficaces avec ce pouvoir évocateur qui ne s’englue jamais dans une poésie bon marché dispensée au kilomètre. On pourrait dire de leurs histoires qu’elles ont ce côté didactique non dénué d’un certain charme (Robe Rouge). Paroliers oui mais pas littérateurs. Et quand ils citent dans le texte Sonny Bono via Nancy Sinatra ou les débuts adolescents de l’héroïne de la Boum, ce n’est pas par mode, encore moins par snobisme mais parce que ces exemples renvoient à des images, des impressions précises, ce que l’on appelle aujourd’hui très scientifiquement le vécu. De sa voix feutrée, très accentuée, Mélissa Dubourg efface ce name dropping pour emmener les chansons ailleurs, hors de l’espace et du temps et c’est heureux. Enfin, puisque nous évoquons Mélissa, la force de Granville est de loucher vers Jersey tout en perpétuant une tradition californienne, celle d’entrelacer voix masculine et féminine. Particularité qui permet à Granville de s’arracher à la masse pour émerger de façon singulière. Mais trêve d’exégèse ! Il y a dans ce premier opus dépoli de jolies mélodies, des airs que l’on aime conserver avec soi partout où l’on va, des choses plus profondes aussi (le sublime Adolescent). Des refrains faits pour être sifflé et pas seulement par Sofian, Arthur et Nathan qui épaulent la pimpante soliste. Sur ce premier album très réussi, Granville met les voiles. Bonne nouvelle : le groupe nous a arrimé au passage.