Jamal Kahn, psychanalyste londonien, la cinquantaine, séparé de sa femme depuis dix huit mois, un fils pré-ado, Raffi, rencontre un certain succès grâce à ses livres mais les détails de son quotidien finalement très banal ne sont pas tout à fait reluisants. Quelque chose à te dire évoque les mémoires d’un homme mûr qui se retourne sur son passé, analysant avec humouret autodérision le cheminement de son existence. Sous une sérénité apparente, cette introspection fait remonter à la surface les zones d’ombre de la vie du narrateur.
Le récit alterne entre souvenirs de jeunesse et récit de la vie actuelle de Jamal, passant d’une époque à l’autre, symbolisées par deux figures emblématiques britanniques Thatcher et Blair. La maîtrise architecturale parfaite de la trame conduit le lecteur à la fois sur la piste des contradictions de la société anglaise depuis trente ans, celles de Jamal et celles de l’auteur. Le narrateur retrace son enfance et son adolescence dans une banlieue métissée de Londres dans les années 70, évoquant avec une certaine nostalgie teinté d’ironie, culture, musique, politique, révolte d’une société en pleine mutation. L’exploration des souvenirs le mène à celui de son premier amour Ajita, souvenir sur lequel plane l’ombre de l’inceste et un évènement tragique qui a marqué son destin.La culpabilité qui le mine en secret fait surgir des fantômes inquiétants lorsque réapparaissent des témoins du passé.
Le psy, l’homme des secrets est le narrateur idéal pour un romancier de mœurs comme Hanif Kureishi. Il permet de dévoiler les plus intimes subtilités de ses personnages, creuser la psychologie de chaque protagoniste avec naturel sans que cela paraisse factice.L’auteur renoue avec la chronique familiale dans la même veine que Le Bouddha de banlieue. Il nous livre avec sensibilité une comédie douce amère dans laquelle l’humour le partage avec l’émotion. Scènes mémorables, situations rocambolesques, dialogues finement menés, très justes et truculents apportent une vitalité impressionnante à ce grand roman infiniment cocasse, follement tragique, comme la vie en somme.
Hanif Kureishi développe des personnages secondaires magnifiques, fouillés, profonds, plus épais que nature qui prendraient presque l’aval sur le narrateur. Il y a l’ex femme Josephine névrosée, atypique, mystérieuse et phobique. La sœur Miriam, femme de caractère à la tête d’une tribu, reine d’une communauté de marginaux, businesswoman d’un genre particulier navigant entre trafiques et magouilles.Bushy, l’homme de main de Miriam, chauffeur, baby-sitter, voyou fidèle, musicien bien allumé. Le meilleur ami Henry metteur en scène à succès lui aussi récemment séparé de son épouse, totalement farfelu. La mère devenue grand-mère indigne, lesbienne sur le tard qui dilapide le maigre héritage familial en excentricités diverses. Toute une galerie haute en couleur, qui cherche un sens au chaos de la vie.
Dans Quelque chose à te dire, on retrouve les thèmes chers à Kureishi : les origines, le métissage et le multiculturalisme, la célébrité piège narcissique, la paternité, la sexualité, la limite ténue entre le bien et le mal. Cette pétillante comédie dramatique est servie par une plume d’une rare modernité, précise et juste. Avec ces souvenirs d’un intellectuel londonien fils d’un Pakistanais et d’une Anglaise, divorcé et père d’un ado, on n’est pas loin de l’autobiographie tant l'auteur semble avoir pioché dans sa propre existence pour monter son roman et donner toute l’épaisseur de la vraie vie à son clan imaginaire. Ce livre confession dont l’histoire à tiroirs s’attarde avec une heureuse ampleur sur les tourments personnels, diverses névroses et secrets de famille est également une réflexion profonde sur l’évolution d’un pays, portrait à l’acide sulfurique de l’Angleterre d’Hanif Kureishi, l’œuvre d’un grand écrivain accompli.
Quelque chose à te dire - Hanif Kureishi - traduit de l’anglais par Florence Cabaret - Edition poche 10/18