L'exercice de la lecture poétique est des plus périlleux.
Se frotter aux plus beaux textes impose de se montrer à la hauteur des mots que l'on emprunte le temps d'un spectacle et Arthur H a pris ce risque.
Bien lui en a pris.
Là où on peut facilement redouter l'ennui, pour en avoir déjà fait l'expérience, on se laisse surprendre par la vie que l'interprète insuffle aux textes qu'il a choisis, par le relief qu'il donne à l'ensemble dont il est bien difficile de dégager un favori.
Car dans cet hommage à la poésie noire, l'interprète s'impose comme une évidence. Sa voix chaude, au timbre grave et typé, suffit à elle seule à emplir tout l'espace mais il ne s'agit pas que de ça. Elle sert les mots de la plus belle des façons.
Quand Arthur H entre en scène, c'est accompagné de Nicolas Repac, qui a assuré la mise en musique des textes et joue ici de la guitare, du balafon et de tout une série d'instruments exotiques qui me sont inconnus.
Ils sont vêtus de noirs tous deux.
La sobriété de rigueur sur le plateau éclairé par un seul spot de lumière.
Le ton est donné : ici ce sont les textes et les notes qui sont mis en avant. L'homme ne sera que le vecteur des mots.
Une musique lancinante, répétitive, obsédante alterne avec des passages dansants qui ajoutent au dépaysement créé par les mots. Les plages instrumentales font parfois office de lien entre les séquences de lecture mais la plupart du temps la musique crée une ambiance sonore qui vient donner de la profondeur à l'instant.
Ce que propose "l'or noir", c'est un voyage immobile, poignant, au coeur de la poésie créole si peu mise en avant (j'ai réalisé qu'à part un texte d'Aimé Césaire, je ne connaissais aucun de ceux qui font partie de la sélection).
A aucun moment Arthur H ne chante et pourtant parfois l'adéquation entre la musique des notes et celle des mots est telle qu'on se surprend à tendre l'oreille pour vérifier. Mais non. Il s'agit bien d'une lecture. Tantôt posée, tantôt animée, parce que les gestes viennent en renfort, parce que l'interprète laisse ses hanches onduler et que, soudain, les mots semblent s'animer pour de bon, prendre corps devant nous.
Le grand talent de Nicolas Repac, qui signe la partition du spectacle, c'est de réussir à faire en sorte que la musique porte les mots sans jamais les étouffer. Qu'elle participe à créer une ambiance sans capter complètement l'attention.
Cet hommage respecteux est tour à tour drôle ou sensuel, macabre ou lumineux, parfois tout cela en même temps.
Lorsque la voix se fait plus forte et que les notes suivent, la montée en puissance déclenche les frissons.
Quand, à la faveur d'un texte qui nous emporte du côté du surréalisme, les rires fusent, inattendus, le spectacle bascule.
Une histoire de marché, de mariage forcé et d'homme complet qui s'avère en fait bientôt n'être qu'un homme en kit, dont le démembrement nous est livré étape par étape réussit, par le jeu d'un irrésistible effet comique, à nous emporter là où on ne s'imaginait pas s'aventurer.
Dans ce récital musical qui évoque l'amour, la fièvre, les rencontres, la terre et ses fruits, tout n'est que surprise et ravissement.
Ultime plaisir : La présentation de l'auteur des textes, en fin de spectacle, par Arthur H lui-même:
Pour clore la soirée, il assure la présentation des poètes, "ces génies", auxquels il a rendu un vibrant hommage.
Parmi eux, Aimé Césaire, Edouard Glissant, René Depestres, Georges Desportes, Gilbert Gratiant, Dany Laferrière, Daniel Maximin, James Noël et Amos Tutuola.
Mais il ne s'agit pas d'une simple énumération, non.
Il met son humour délicieux, toujours empreint d'un profond respect, au service des auteurs, leur offrant quelques mots en guise d'écrin, qui disent toute l'affection et l'admiration qu'il a pour l'oeuvre de chacun d'entre eux.
A travers ce florilège de poèmes créoles contemporains (un seul auteur africain dans le récital : Amos Tutuola), Arthur H propose un véritable spectacle riche en émotions. Une heure qui saura séduire les amateurs de poésie comme les novices.
A retrouver jusqu'au 3 février au théâtre du Rond Point.
Je glisse ici une séquence filmée qui contient le fameux texte d'Amos Tutuola :
Un disque( associé à un livre) est le support de ce beau projet. A se procurer par exemple ici...
(à noter que les arrangements du disque sont différents, plus "cinématographiques" selon les mots d'Arthur H lui-même) que ceux du spectacle)