20 mars de l’an XV. Néponine règne en dictateur. Sur les murs, un même Avis à la population ! se placarde aussi vite que le virus dont il parle se propage. Aussi vite qu’une prédiction de sorcier : depuis l’an III, le virus Marabout progresse. Près de 2 000 000 de personnes en ont été atteintes, la plupart recluses dans des sanatoriums pour endiguer la courbe, tant bien que mal. Si aucun remède n’a été trouvé pour freiner sa propagation, les autorités assurent que Néponine a fait de la recherche son objectif premier, et qu’un remède, ou un vaccin préventif, sera trouvé dans un délai aussi bref que possible.
En attendant l’exploit, dans le sanatorium de Séoul, on diffuse sur un écran de bar le dernier tube extrait du nouvel album de la star Lolita : Proud to be a human, I’m not a moron. Hey ! I still have a chance with the human resistance ! De tous les admirateurs de la chanteuse, Medhi est le premier. Lolita, sa seule évasion, en pensées, car dans les murs du ghetto, les frontières sont infranchissables.
Medhi, comme des milliers d’autres cloîtrés, enfermés dans ce qui est devenu un cabinet de curiosités peuplé d’enfants poilus, d’êtres à la stature de Chewbacca et aux yeux de porcelaine noire, vit au rythme de petits délits de contrebande et de tentatives désespérées de s’en sortir. Dans les murs du ghetto, les rares magasins portent l’enseigne d’une Abbey Road utopique et, au détour de conversations sur les dernières lois et revendications de Néponine, de la musique se fait toujours entendre.
Medhi et Lolita évoluent en miroir inversé, mais leur rêve d’évasion est identique : le premier, que tout le monde pense malade, découvre qu’il n’est pas atteint par le marabout tandis que la chanteuse, que tout le monde pense humaine, se révèle être un robot manipulé. Sans conscience, ou presque, puisque c’est sa voix qui narre le récit, au-delà des textes de ses chansons qui lui sont imposés – HR pour Human Resistance ou Humanoid Robot ? Ainsi, Medhi, sorti de la zone du sanatorium, et Lolita, sortie de scène par un groupe de résistants, vont se mettre en lutte pour libérer les fils de leur propre marionnette. En toute conscience ou malgré eux, ils deviennent des voix de la résistance. Aux murs, d’autres affiches sont placardées et l’avis à la population s’est mué en cri pour la liberté.
Medhi et sa Lo-li-ta bien contemporaine, qu’il humanise dès lors qu’il la rencontre enfin et qu’elle cesse d’être uniquement un fantasme pour lui, forment un couple quasi romantique à l’union impossible, malmené par le pouvoir. Autour d’eux, toute une galerie de personnages secondaires très travaillés, en et en dehors des frontières du ghetto, en et en dehors du pouvoir, vient renforcer l’intrigue. Des personnages tout autant manipulés que les deux héros, qui tombent les masques au fur et à mesure des pages.
Planent sur Lolita HR des notes de musique, une mélodie tour à tour douce ou mélancolique, des refrains chantés et les accents mélodramatiques du récit pris en charge par Lolita. Tous racontent la lutte de chacun pour sortir de sa propre folie et d’un néant involontaire.
Dark,
Darkness everywhere.
A ray of light
Doesn’t have to scare.
Think,
That you can still breathe.
Lolita HR remplit – tant au niveau graphique que par l’histoire elle-même – toutes les missions d’un très bon manga d’anticipation, en utilisant tous les codes assimilés et passages obligatoires (révoltes de rebelles face à un pouvoir dictatorial, robots humanisés ou humains robotisés, pensées libératrices – par les plongées dans le rêve – confrontées à une certaine forme de manichéisme…).
Si certains passages flirtent avec les grands titres japonais du genre, Delphine Rieu et Javier Rodriguez prennent des libertés étonnantes et densifient la narration, la teintant de rebondissements inattendus au moyen de flashbacks de plus en plus nombreux et empruntant çà et là aux ressorts de romans d’initiation, en donnant une profondeur bienvenue à tous les personnages et leurs destins croisés. Il semblerait que quelques ficelles soient tendues par Jodorowsky lui-même, tant les auteurs placent de multiples drames au cœur de l’histoire, déjà contenus dans la puissance évocatrice du seul titre : Lolita.