Pour le bicentenaire de la naissance de Richard Wagner, l’Opéra de Paris présente le Ring dans sa totalité. Deux ans auront été nécessaires pour monter dans l’ intégralité de l’Anneau des Niebelungen. L‘Or du Rhin prologue de l’œuvre sera donnée cette semaine à Bastille dans la mise en scène de l’allemand Gunther Kramer.
136 mesures identiques pour une ouverture en mi bémol qui se décline en lents arpèges hypnotiques.136 mesures jouées dans une beauté lente de cuivres jusqu’à cette interruption incroyable de la nappe sonore suspendue par une des trois Lorelei que le rideau découvre subitement.
"Weia ! Waga !Woge, du Welle ! Walle zur Wiege !Wagalaweia !Wallala weiala weia !"
Il s’agit de borborygmes .
Les trois Ondines sont des êtres de nature plus que de langage. Elles vivent nues dans l’eau de ce leimotiv inaugural (qui peut représenter le fleuve en ses ondulations ou la naissance de l’œuvre, la mise en musique de sa gestation pour autrui).
Pour la mise en scène, Gunter Kraemer, un allemand est aux manettes. Première image des Lorelei: les filles du Rhin sont déguisés en poupées gonflables, le fleuve est un « bordel » aquatique.
Subtile référence. Un critique mal intentionné de l’époque avait parlé d" aquarium à putes" pour désigner ce début génial. Fallait-il y attacher quelque importance ?
C’est sur la côte Adriatique que Wagner aurait imaginé au milieu du dix neuvième siècle cette ouverture insensée. Ce choix obsédé et répétitif. Cette manière de procéder par glissements progressifs comme l’eau sur le duvet d’une Lorelei. Dans un courrier à son beau-père Frantz Liszt, il confie que l’Or du Rhin ne ressemblera à rien d’autre. Dès l’ouverture…
Tout baignerait dans les eaux douces du Rhin si l’immonde Alberich, nibelungen frustré et bien trop près de ses genoux ne voulait s’emparer du magot aquatique des sirènes. Que le voleur soit frappé de la malédiction de ne plus pourvoir être aimé ne l’inquiète guère. Il a les moyens de s’offrir des plaisirs tarifés. Les ondines ont beau le mettre en garde, le nabot pervers ne voit que son intérêt immédiat : se faire un anneau de l’or du Rhin pour devenir le maître absolu, réduire les dieux au néant.
Rheingold ! Rheingold !
Dans leur séjour incertain les Dieux germains (étrangement carapaçonnés de panoplies culturistes pour se distinguer sémantiquement des mortels n’ont pas la grande forme. Wotan( Thomas Johannes Maeyr dans le nouveau casting), le patron, songe à améliorer son intérieur en faisant construire une forteresse appelé Walhallah . Le moral n’est pas au beau fixe chez les puissants et on s’ennuie un peu en attendant Loge dit le rusé. La construction a coûté les yeux de la tête et l’imprudent propriétaire a promis à deux géants bâtisseurs Fafner et Fasolt,une récompense en nature sa belle-sœur Freia (Edith Haller une « nature », ,autre nouvelle du casting). Le bâtiment finit par enlever la princesse car Wotan ne veut plus payer l’addition en chair fraîche d’autant que la sœur de sa femme- outre sa plastique de cabaret burlesque produit- de beaux fruits de jouvence. Des pommes qui permettent de conserver la jeunesse éternelle.
Aidé de son fidèle Loge(Kim Begley grand interprète du rôle) , malin comme un sage, Wotan part à la recherche de l’or volé dans les sous-sols des Nibelungen où Alberich l’immonde nano-lubrique a déjà réduit tout le monde en esclavage y compris Mime son propre frère. Il a transformé son sous-sol, ambiance Fritz Lang mâtinée d’Edgard Poe avec pendule géant qui frôle la tête des mineurs. Après Le Seigneur des Anneaux, on s’attend presque à voir surgir un Golum de cette mise en scène laborieuse.
On l’aura compris les mythes allemands utilisés ont quelque chose de suranné même si les qualités de dramaturge de Richard Wagner sont incontestables. L’or du Rhin est une œuvre abstraite, austère (pas d’arias libérateurs, pas de passion comme dans la Walkyrie ou Tristan) mais une recherche exigeante, avant-gardiste sans concession où l’orchestre peut parfois être étouffé par le bruit rythmé et percussif d’enclumes comme dans de la musique concrète.
Le risque est grand de frôler l’heroïc fantaisy. La musique de Wagner sous la baguette de Jordan fait oublier la mise en scène trop voyante de Gunther Kramer mais il faut bien le reconnaître, elle est comme « entravée » par la théâtralité pesante imposée par ce metteur en scène.
Sur le plan du chant, Sophie Koch incarne une épouse céleste de grande tradition qui exprime à merveille le malaise divin, Peter Sidhom est un Alberich sublime en manipulateur de filles du Rhin. Des deux géants Gunther Groissböck (qui était déjà de la première distribution) est un remarquable Fafner. Donner, tonnant dieu du Tonnerre (Samuel Youn) continue aussi l’aventure. Enfin Quiu Lin Zang, déesse de la terre hiératique, apparition fantomatique emplit l’espace de l’opéra Bastille de la voix pure de la justice. Prima la musique, une fois encore
La suite au prochain crépuscule…