Au Mali, on réédite une guerre qui n’a pas fonctionné en Afghanistan, contre des bases-arrières supposées du terrorisme.
Par Marc Crapez.
Lire la première partie : L'erreur stratégique de la théorie des bases arrières 1/2
Au Mali, comme dans la plupart des situations de guerre, l’enjeu idéologique est élevé. Faute d’option idéale, on est partisan de la moins pire des solutions. Cela donne le sentiment d’échapper au pire. Chaque camp a beau jeu de pointer les inconvénients de la position adverse. Ceux qui soutiennent l’opération française sont poussés à l’intolérance du fait de leur motif humanitaire.
D’un autre côté, il n’y a aucun lien de cause à effet direct entre la guerre en Libye et celle au Mali. Un Kadhafi resté en place ne se serait pas gêné pour tenter de fomenter des troubles en zone sahélienne. De même, l’Afghanistan n’est pas un échec complet. Les talibans sont revenus et vont revenir encore davantage dans le jeu. Mais l’Occident est allé porter le germe du doute au cœur de la forteresse mentale de ce pays. Toute la question est d’évaluer si l’entrée en guerre dans ces pays a eu plus d’avantages que d’inconvénients en comparaison de la projection d’autres scénarios.
Lors du 11 septembre, l’Amérique se persuada qu’elle avait commis deux erreurs : l’une en 1993, en évacuant la Somalie ; l’autre en 1991 en laissant Saddam Hussein en place. C’est alors que naît la théorie des bases-arrières, selon laquelle on ne peut pas laisser prospérer un État qui servirait de base au terrorisme international. Et non seulement on ne le peut pas, mais ce serait criminel, ce qui forclos le débat.
Grand Moyen-Orient ou Asie Occidentale ?
Convaincue que le 11 septembre a été rendu possible par la constitution d’une base arrière géographique dans l’Afghanistan des talibans et d’une base arrière financière dans la péninsule arabique, l’Amérique veut faire une démonstration de force et administrer une leçon afin que le crime ne demeure pas impuni. Elle va balayer le régime des talibans et faire trembler les bases-arrières financières en balayant Saddam Hussein.
Ce double coup de force est alors rationalisé par divers prétextes (détention d’armes de destruction massive), par la caution de motifs humanitaires (sort des fillettes afghanes) et par un projet constructiviste (nation building) censé combler le vide : la démocratisation clef en main du Grand Moyen-Orient (Greater Middle East), notion permettant de lier (linkage) le règlement des problèmes du Proche-Orient à ceux de ce qu’on pourrait appeler l’Asie Occidentale (région au sud des mers Noire et Caspienne regroupant l’Irak, l’Iran, l’Afghanistan et le Pakistan).
L’invention de la notion de Grand Moyen-Orient à la place de celle d’Asie Occidentale allait générer une erreur géostratégique basée sur la méconnaissance de la spécificité historique de pays comme l’Afghanistan, la Somalie, le Yémen, le Mali, voire la Libye, où s’entrecroisent les mêmes ingrédients : des traditions nomades, des rivalités tribales, de la corruption et l’absence d’entité étatique assumant ses prérogatives. Partant, toute modernisation à marche forcée est utopique.
Vouloir empêcher, par le fer ou par le feu, la constitution de sanctuaires ennemis représente un coût important au regard des bénéfices avérés. La théorie des bases-arrières réactualise la peur de l’installation des rampes de lancement de fusées sous la guerre froide. À cette différence que rien n’étaye l’efficacité prêtée à ces régions en tant qu’arrière-cours du terrorisme international.
En réalité, le 11 septembre 2001 n’est pas imputable à l’évacuation de la Somalie en 1993. Il l’est plutôt au fait que l’administration Clinton avait pratiqué une forme de désengagement fataliste. Or, il faut livrer certaines guerres à l’islamisme armé. Mais sans vouloir nécessairement le déloger des refuges que l’histoire et la topographie lui concèdent dans certaines régions reculées.
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