Il y a des liens indéniables entre le mental et le physique. J'en suis de plus en plus persuadé. Seulement, nous ne pouvons que nous approcher du savoir sur ces liens, sans être à même d'en tenir compte de manière systématique.
Qui ne connaît pas, dans son entourage plus ou moins immédiat, de personnes qui souffrent réellement physiquement, sans que cela ne se traduise par des signes objectifs en l'état actuel de la science?
Le narrateur du dernier roman de David Foenkinos se trouve dans cette situation bien réelle: il souffre du dos de manière cyclique et pourtant rien n'apparaît sur les radios et l'IRM qui lui ont été prescrites. Scientiquement il n'a rien, mais il souffre comme une bête.
Cette douleur qui, selon les cîrconstances, peut être plus ou moins exquise - un médecin a qualifié ainsi la douleur que j'ai
ressentie le jour où je me suis fracturé plusieurs orteils -, ne lâche pas le narrateur. Elle est apparue un beau dimanche alors que lui et sa femme, Elise, recevaient un couple de bons amis,
Sylvie et Edouard, et depuis elle ne le quitte plus, variant seulement en intensité, ce qui influe évidemment à chaque fois sur son état d'esprit. L'auteur ponctue d'ailleurs chaque épisode
d'indications sur l'intensité de sa douleur, sur une échelle de 1 à 10, et de résumés lapidaires sur son état d'esprit.
Au bout de plusieurs jours de souffrance et d'examens médicaux, qui ne révèlent rien, il se résigne à aller voir une magnétiseuse sur le conseil de sa belle-soeur, pour s'entendre dire que sa douleur est d'ordre psychologique et que le magnétisme ne peut rien pour lui.
Il travaille dans un cabinet d'architecture. Comme un malheur n'arrive jamais seul, il est ridiculisé lors d'une réunion avec des clients japonais parce que, peu méfiant, il a utilisé des éléments faux que lui a fournis un collègue et néanmoins ennemi. Ce dernier le nargue de telle manière qu'il finit par lui régler son compte, ce qui lui vaut d'être licencié sur le champ pour faute grave.
Le soir même il rentre chez lui et sa femme lui annonce qu'elle veut divorcer. En quelques jours il a donc perdu la santé, son
job et sa femme. De quoi déprimer grave, comme on dit de nos jours. Du coup il démarre une analyse, sans suite, avec le psy qu'il a dû rencontrer au moment de son licenciement et se rend compte
qu'il avait besoin de vider son sac à quelqu'un, de préférence un inconnu qui saurait l'écouter.
Sa dorsalgie présente des hauts et des bas, plus ou moins douloureux . Lors d'un haut il a un malaise et se retrouve à l'hôpital.
Finalement c'est à partir d'une parole de sa mère qu'il entame son processus de guérison. Elle lui a dit qu'il gardait trop les choses pour lui et qu'il devrait aller voir toutes les personnes avec qui il a eu des problèmes:
"Mon mal de dos devait être la somme de tous les noeuds jamais dénoués. Bien sûr, il y avait le coeur de ma vie: ma femme, mes enfants, mes parents, mon travail. Mais peut-être que j'avais négligé la multitude de points de tension qui avaient jalonné mon parcours."
C'est en se livrant à cette quête que le narrateur va enfin commencer une nouvelle vie, en tranchant l'un après l'autre les noeuds de son existence, jusqu'au dénouement final. A son entourage et à ceux qu'il a rencontrés à l'occasion de ce récit il pourra dire enfin, sans que ce ne soit par pure politesse: "Je vais mieux". Jusqu'à présent n'a-t-il pas subi sa vie? N'en sera-t-il pas dès lors l'organisateur?
David Foenkinos, sur un thème qui pourrait être ennuyeux pour le lecteur, sait le captiver jusqu'au bout. Sans doute parce qu'il
a un regard singulier sur les êtres et les choses, un style parfois piquant, et parce qu'il délivre un message d'espoir à tous ceux et toutes celles qui somatisent: il leur faut seulement avoir
le courage de changer de vie quand elle ne leur convient pas, si le destin ne se charge pas de les y pousser...
Francis Richard
Je vais mieux, David Foenkinos, 336 pages, Gallimard