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La liseuse de Paul Fournel chez P.O.L.

Par A Bride Abattue @abrideabattue
La liseuse de Paul Fournel chez P.O.L.C’est l’histoire d’un mec, il rencontre une fille, mais ...
Voilà le pitch idéal pour lancer un livre ... enfin selon Pierre Fournel qui se trouve être un vieux briscard de l’édition.  Son dernier livre est un petit bijou qui offre plusieurs niveaux de lecture et qui a réjoui la liseuse quasi professionnelle que je suis devenue au fil des années grâce ou à cause du blog.
Le personnage principal est un éditeur lié à un autre capital que le sien mais qui a gardé son autorité (littéraire). Il a des soucis avec ses auteurs, avec son personnel, ses équipes et ses libraires. On les devine naviguer dans un milieu en attente d’un traitement de choc qui le sortirait de la débâcle, non pas tant la  crise économique, encore qu’elle n’arrange sans doute pas la situation, mais de la baisse des ventes par désintérêt d’un public trop occupé à lire autre chose que du papier. Et tandis que les uns continuent sur leur lancée, espérant encore gagner le concours des meilleures ventes, et que les auteurs lui confient leurs états d’âme. Adèle, son épouse, ne va pas très bien.
Cela fait beaucoup pour un seul homme.
Seul ... pas tant que ça, car tout bien considéré, la relève est proche et n’attend qu’une impulsion pour développer une nouvelle idée. En 2012 les stagiaires sont capables d’autre chose que de faire tourner la photocopieuse. Ils composeront la dream-team du défi exaltant de Robert Dubois.
Puisque le lecteur surfe et navigue, et qu’il a pris l’habitude de faire ses courses sur Internet, Meunier, l’associé de Robert, croit que l’édition pourra être sauvé par la technologie et a chargé une stagiaire d’expliquer à Robert comment se servir d’un lecteur numérique. va mesurer très vite l'ampleur des enjeux.
Une fois l’objet apprivoisé il comprendra l'ampleur des enjeux et du changement qui s'amorce. S'il n'a pas tout à fait l'énergie pour se lancer dans l'aventure il en a assez pour créer une maison d’édition parallèle, Au coin du bois, qu’il drivera en cachette de son associé, en orchestrant les compétences de bande de stagiaires, non pas en raison de leur statut mais de leur jeunesse. La mutation est une affaire de génération.
Toute l’aventure est écrite sous la forme d’une sextine régulière, forme poétique inventée au XII° siècle par le troubadour Arnaut Daniel. L’ensemble constitue un poème de 180 000 signes et blancs. On a envie de s’exclamer vive le traitement de texte pour ne pas devoir les compter un par un.
Je ne vous en dirai pas davantage sur le contenu du livre qui, je me répète, procure de vrais plaisirs. Comme il est agréable de retrouver le quartier St Germain avant qu'il ne soit investi par les boutiques de fringues (à l'exception de la maison Rykiel pour la raison que je donne plus loin). On a très envie de s’amollir dans un fauteuil en compagnie de cette liseuse là, un verre de Brouilly, de Morgon ou de Pic Saint Loup à la main, pour ne citer que quelques-uns des vins appréciés par l’auteur. Il a bien raison d'ailleurs de souligner le lien secret entre les livres et la nourriture et je ne suis pas sûre qu'il perdurera avec l'hégémonie du numérique.
J’étais comme le personnage du roman, rétive à l’usage de cet objet qu’il appelle joliment «liseuse» et j’ai donc réfléchi à son emploi en même temps que j’avançais dans la découverte des péripéties.
J’ai été assez vite convaincue de ses atouts. Ce petit appareil électronique, à peine plus encombrant et plus lourd qu’un livre, comparable à un micro ordinateur, contient des ouvrages sous forme de fichiers que l’on ouvre à volonté, à condition bien sûr de n’être pas en panne de batterie. Les nouveau modèles promettent trois semaines d’autonomie et seraient capables de contenir l’équivalent de plus d’un millier de livres. Auraient-ils le pouvoir de créer une autre forme d’addiction, à l’instar des jeux video ? Ce serait drôle que des adultes se plaignent de ce mal alors qu’on ne sait pas quoi inventer pour redonner le goût de la lecture.
C’est très tentant pour les vacances et me permettrait de ne pas restreindre à cinq ou six le nombre des volumes que je glisse entre les vêtements.
Chaque fichier s’affiche de la manière que l’on a définie. On peut donc changer le visuel de couverture, les caractères, leur typographie et leur taille. C’est pratique pour les mal voyants. Qui sait d’ailleurs si l’évolution ne permettra pas qu’une voix ne fasse la lecture ... même si le livre CD existe déjà pour cela.
Si j’en crois Dubois ce grand confort d’une vraie lecture pourrait prendre une dimension orgasmique (page 50). On peut régler l’intensité lumineuse et ainsi poursuivre en pleine nuit confortablement dans une pièce non éclairée sans déranger le conjoint qui dort d’un sommeil précaire. On peut mettre en surbrillance les passages préférés pour les retrouver ensuite. L’interface tactile donne l’illusion de tourner les pages. Mais le bruit ? fait-elle d’un ronronnement ou un grondement parce que le livre est la discrétion même.
Un certain nombre d’inconvénients demeurent. Ma mémoire essentiellement visuelle risque fort d’être déroutée. J’accroche mes souvenirs à l’illustration de la couverture, au volume et aux proportions du livre. Ma mémoire affective sera tout autant perturbée. Je retrouve instantanément dans mes rayonnages le dernier de Vigan parce que je sais que je l’ai placé, pour des raisons qui me sont personnelles, juste à coté de l’avant-dernier Blondel.
Je pressens que l’e-book me dérangera autant que la migration de PC à Mac, ou si vous préférez de l’environnement Windows à Apple. Pendant un an j’ai pallié l’affichage tristissime des photos classées dans le dossier Images de mon Mac en laissant tous les dossiers ouverts sur ce qu’on nomme le bureau. Imaginez l’encombrement …  Je rallumais souvent le vieux PC pour y voir clair et effectuer des classements avant de retransférer les fichiers. Et puis j’ai découvert une application qui non seulement me permet d’apercevoir le contenus des fichiers classés dans chaque dossier mais aussi d’en balayer le contenu d’un mouvement rapide. Il est probable que pour quelqu’un qui la maitrise la liseuse sera un progrès considérable. J’aurais peur qu’elle ne devienne plus un outil de travail qu’un loisir.
Parfois j’ai envie d’un livre dont la lecture ne monopolisera pas la semaine entière. A d’autre moments je suis prête pour deux jours de lecture quasi non-stop. Les ouvrages qui composent ma PAL (vous savez bien, la Pile à Lire) effectuent ainsi des aller-venues entre le haut et le bas. Il arrive que j’en pose un sur le plateau du petit-déjeuner pour me rappeler que sa lecture est devenue «urgente», même si elle demeure toujours un plaisir. L’objet livre est jaugé d’un coup d’œil  et je ne me vois pas ordonner les fichiers selon leur poids en octets. J’aime aussi feuilleter le roman alors que j’écris la chronique. Retirer alors un à un les marque-pages dont je l’ai truffé fait partie du rituel et de la satisfaction d’avoir «bien lu».
Je viens d’admettre que la liseuse allégerait mes bagages. Mais ai-je envie d’étagères vidées de leur contenu ? Je ne pourrai plus prêter un Janine Boissard à Christine pendant que Marc prendra le train de 06H51 avec Blondel, caler subrepticement un Monfils à Murielle entre les poireaux et une bouteille de lait, oublier un Delphine Bertholon sur le siège arrière de la voiture de Catherine, ou souffler à l’oreille de Jacques que cela va lui faire un bien fou de lire le dernier Pascal Garnier.  Me tordrais-je encore le cou devant les vitrines de Sonia Rykiel pour déchiffrer les titres des piles de bouquins au pied des mannequins ?
Je ne laisserai plus trainer Shaine Cassim ou Valérie Zenatti sur les marches de l’escalier en espérant qu’une petite main innocente, tentée par la quatrième de couverture, n’embarque le bouquin pour le savourer sous les draps. Mission carrément impossible pour faire découvrir Claude Ponti, Tomi Ungerer et Allen Say aux bambins. Quand je songe que nos soirées «bouquinerie», comme on les appelait, quand nous nous serrions tous dans le même lit, auraient pu ne jamais avoir eu lieu ... 
Vous me direz que je pourrais acquérir une liseuse avec une poignée de clés USB pour y copier l’un ou l’autre des fichiers contenus. Mais le plaisir de mettre un bouquin entre les mains des petits lecteurs (et il n’y a pas d’âge pour cela) en leur disant commence, tu n’es pas obligé de finir, mais lis au moins les deux premiers paragraphes ...  et de suivre leur regard déjà gourmand entre les lignes …
J’aime croire que les livres sont toujours prêts à voyager et qu’ils passeront de main en main. Quand une attachée de presse me relance je peux toujours prétendre n’avoir pas reçu le colis, ou arguer que je n’ai pas demandé qu’il arrive dans ma boite aux lettres. Sauf que ces livres non désirés, je les ouvre, les découvre et parfois les aime et les chronique. J’aurais moins d’égard à l’égard d’un fichier pdf. Et je ne serais plus influencée par la dédicace manuscrite de l’auteur sur la page de garde.
Je n’aurai plus d’utilité à collationner les cartes postales, signets et autres marque-pages qui débordent des livres que j’ai entamés (je déteste faire des annotations dans les marges même au crayon et je prends des notes sur des feuilles de papier que je plie en deux … et que certes, parfois je perds). Aurais-je le réflexe d’écrire sur la liseuse, à condition de ne pas oublier d’effacer avant de la passer à un prochain lecteur. Car, et c’est là une initiative tout à fait intéressante, la bibliothèque d’Antony (92) a acquis un certain nombre de ces machines sur lesquelles ont été téléchargés les livres du Prix 2013 des médiathèques d'Antony. Le titre figure aussi dans la sélection d'autres Prix, comme c'est le cas au Plessis-Robinson (92).
L’objet-livre n’est jamais en panne, n’a pas besoin d’être rechargé. On peut même continuer à en tourner les pages tout en touillant la compote. Ah bien sûr, le livre numérique ne connaitra pas le pilon et ce sera une  économie notable. De là à conclure que l’e-book s’inscrit dans le développement durable ...
On pourra aussi se dispenser d’aller au Salon du Livre faire des queues interminables pour espérer échanger quelques mots avec son auteur préféré pendant qu’il griffonne une dédicace. Avez-vous au moins pensé quelle voie ces lignes pourront prendre sur un tel engin ? Tiens je m’imagine, la liseuse sous le bras demandant à Pierre Fournel d’ajouter quelques mots personnels quelque part dans le fichier. Le texte va devenir pénétrable. Le lecteur ne sera plus limité aux marges. Il deviendra un lieu collectif entre celui  (ou ceux) qui l'ont produit et celui (ou ceux) qui en feront usage.
Les attachées de presse n’organiseront plus de rendez-vous avec leurs poulains. Je me demande ce que Georges Pérec en aurait pensé. Il me vient en tout cas une envie pressante de remettre le nez dans le papier, de le respirer, à la recherche d’une sensation.
Voilà une jolie phrase que je n’aurais peut-être pas remarquée sur un e-book, page 47. Il est à peine huit heures et le bureau m’a saisi aux chevilles . Comme cela fait du bien de la recopier –j’ai envie de la mémoriser- pas de devenir un robot – voilà le risque avec la liseuse. C’est de me transformer moi aussi en machine. Le papier nous rappelle qu’on est poussière et qu’on y retournera. Il nous relie à la nature.
Sans vous révéler l’issue du projet, je vous dirais tout de même que Pierre Fournel restaure l’intérêt pour l’objet-livre en nous montrant Robert Dubois choisissant ses livres en librairie comme vous et moi des roses chez le fleuriste, après s’être amusé du désarroi du mec à qui on vient changer la liseuse pour une nouvelle génération au simple motif qu’on renouvelle le parc. Il s’y accroche comme autrefois à ses rames de papier. La nature humaine est ainsi faite qu’elle aspire à la nouveauté plutôt pour les autres que pour elle-même et se cramponne à ses vieilles et rassurantes habitudes. Et pourtant  les liseuses seraient bel et bien en passe d’être délaissées au profit des tablettes parce que celles-ci offrent plus de possibilités, quitte à reléguer la lecture à peu de choses. Et ce serait alors encore le livre qui terminerait perdant.
Est-on vraiment à la porte d'une révolution mentale qui va avoir des conséquences incommensurables sur le cerveau humain ? J'ai entendu Paul Fournel dire en interview que les révolutions technologiques ne se font pas à bords vifs du jour au lendemain. Il prenait l'exemple du vinyle qui subsiste à coté du streaming. Il exprime une certaine forme d'optimisme, voire même d'enthousiasme pour une nouvelle littérature. Rendez-vous dans dix ans !
La liseuse de Paul Fournel chez P.O.L., 2012

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