Dans l’abîme doré, rouge, glacé, doré, l’abîme où gîte la douleur, les tourbillons roulants entraînent les bouillons de mon sang dans les vases, dans les retours de flammes de mon tronc. La tristesse moirée s’engloutit dans les crevasses tendres du coeur. Il y a des accidents obscurs et compliqués, impossibles à dire. Et il y a pourtant l’esprit de l’ordre, l’esprit régulier, l’esprit commun à tous les désespoirs qui interroge. Ô toi qui traînes sur la vie, entre les buissons fleuris et pleins d’épines de la vie, parmi les feuilles mortes, les reliefs de triomphes, les appels sans secours, les balayures mordorées, la poudre sèche des espoirs, les braises noircies de la gloire, et les coups de révolte, toi, qui ne voudrais plus désormais aboutir nulle part. Toi, source intarissable de sang. Toi, désastre intense de lueurs qu’aucun jet de source, qu’aucun glacier rafraîchissant ne tentera jamais d’éteindre de sa sève. Toi, lumière. Toi, sinuosité de l’amour enseveli qui se dérobe. Toi, parure des ciels cloués sur les poutres de l’infini. Plafond des idées contradictoires. Vertigineuse pesée des forces ennemies. Chemins mêlés dans le fracas des chevelures. Toi, douceur et haine—horizon ébréché, ligne pure de l’indifférence et de l’oubli. Toi, ce matin, tout seul dans l’ordre, le calme et la révolution universelle. Toi, clou de diamant. Toi, pureté, pivot éblouissant du flux et du reflux de ma pensée dans les lignes du monde.
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Pierre Reverdy (1889-1960) – Flaques de verre (1929)