Résumé :
Et si vous trouviez un journal qui traitait de votre futur proche ? Et si ce journal semblait connaître le moindre secret intime vous concernant ? Et si l’écriture du journal était la vôtre, mais que vous n’aviez aucun souvenir de l’avoir un jour rédigé ? Et si ce journal vous racontait la fin du monde ? … Y croiriez-vous ?
Où se le procurer ?
Ou en me contactant directement à : [email protected]
Extrait :
Prologue
Thomas Cichevet jura en sortant son téléphone portable. Voilà une heure qu’il cherchait cette satanée bibliothèque. L’Alcazar était pourtant censée être la plus grande de tout Marseille.
J’te retiens Julien…
Leurs examens de quatrième année de pharmacie commençaient en fin de semaine. Durant le mois entier de révision, Thomas avait été incapable de se mettre vraiment au travail. Que ce soit l’ordinateur avec son facebook, ou le soleil d’été qui commençait à s’installer pour de bon, il y avait toujours eu une distraction pour le sortir de sa fragile concentration…
Le brun soupira. Il se connectait à internet avec le téléphone.
Bien sûr, il avait travaillé régulièrement pendant le quadrimestre. Mais bon… Ceux qui prétendaient que cela suffisait amplement pour réussir les finaux avaient définitivement tort.
Un de ses amis lui avait alors conseillé de changer d’environnement de travail, et la bibliothèque de Marseille rassemblait de nombreux élèves désireux de potasser leurs cours.
L’étudiant plongea sa main dans son jean pendant que les coordonnées GPS de la bibliothèque se reliaient à celles de son téléphone pour lui trouver le plus cours chemin jusqu’à destination.
Finalement, le portable émit un bip triomphant.
Hé ben, voilà !pensa Thomas en se passant une main dans ses cheveux coupés en brosse.
Il quitta le métro Noailles et descendit l’avenue jusqu’à tomber sur la bonne intersection, puis remonta vers la bibliothèque.
Il sourit lorsqu’il aperçut les lettres monstrueuses sur la façade : ALCAZAR.
Yeah baby.
Son téléphone se mit à sonner. Sa mère. Il décrocha. Encore ses parents, cherchant probablement à savoir s’il parvenait enfin à travailler.
Ils ne pouvaient pas se mêler de leur vie, ceux là ?
- Ouais ?
- Coucou mon chéri, ça va bien ?
Thomas grogna en guise de réponse.
- Est-ce que tu pourrais me rendre un service ? demanda sa mère.
Nous y voilà…
- Ton père et moi partons pour New York dans quelques heures, est-ce que tu pourrais venir t’occuper du chien et garder la maison pendant quelques jours ?
Bien sûr, parce que moi je n’ai rien à faire de mes journées…
- Wahou, un préavis de deux heures ? Vous vous améliorez…
Sa mère garda le silence un moment, puis en hésitant elle lança :
- Ca veut dire oui ?
Inutile d’insister, s’il tentait de dire non, elle l’aurait à la culpabilité. « Pense donc à tous ces phoques qui ont besoin de notre aide ! ».
Les parents du jeune homme étaient impliqués dans la cause environnementale depuis des années. C’était la principale raison pour laquelle il ne les voyait que rarement. Ce qui ne l’embêtait pas plus que ça.
Il adorait ses parents, mais leurs relations s’étaient largement améliorées lorsqu’il avait déménagé à Marseille pour ses études…
Le problème avec leur état d’esprit très « Greenpeace » était qu’ils partaient en vadrouille aux quatre coins du monde toutes les cinq minutes, et demandaient à leur fils unique de garder le chien, la maison, les poules, de s’assurer que la piscine ne virait pas au vert et autres tâches de la sorte…
Pour la forme, Thomas souffla dans le téléphone, de sorte que sa mère sache que ce n’était pas de gaîté de cœur.
- Ouais, ça veut dire oui, répondit-il finalement.
- Merci mon chéri. L’univers te le rendra, ajouta-t-elle en prêchant sa croyance.
Pour elle, les lois de notre monde étaient régies par le karma. Une bonne action entraîne à terme un retour positif, alors qu’un « non » peut avoir des répercussions terribles…
- Tu veux quelque chose de New York ? proposa-t-elle.
- J’aimerais bien des bottes en peau de phoque…
- Oh, tu es horrible ! Est-ce que tu te rends compte que…
Mais Thomas avait coupé la conversation. Sa mère n’avait jamais été très réceptive à l’humour, de toute façon.
Il allait regarder l’heure sur son portable, mais un clocher sonna dix coups alors qu’il entrait dans le sas de la bibliothèque.
Il avait quelques heures pour bosser, mais il devrait prendre la voiture et rentrer dans son village.
Autant pour mes superbes révisions…
Il éteignit son portable. Lorsqu’il releva les yeux, les lumières de la bibliothèque vacillèrent toutes en même temps. Les gens levèrent les yeux vers les néons, au plafond.
Thomas entendit un grand bruit de déchirure sur sa gauche. Il fronça les sourcils alors que le courant revenait. Il hésita : l’entrée se trouvait sur sa droite, où les vigiles regardaient les arrivants d’un air suspicieux.
Finalement, l’étudiant fit quelques pas sur sa gauche. Il regarda alentours. Qu’est-ce qui avait pu faire ce bruit ?
Son pied buta dans un objet, il baissa la tête. Un carnet jonchait le sol. Il se baissa pour le ramasser.
Sa couverture était en cuir et il était comme empaqueté par une lanière. Il tira sur le fil et fit tourner quelques pages. Certaines étaient gondolées, comme si elles avaient été mouillées. Une odeur de sel s’échappait du bouquin.
Le port n’était qu’à quelques dizaines de mètres, est-ce que quelqu’un l’y avait fait tomber ?
Il passa l’inspection de sécurité en montrant l’intérieur de son sac.
Ouais, que des bouquins barbants, désolé…
Une file de personnes s’étendait devant lui. Ils voulaient tous rendre les romans empruntés.
Issu d’une famille plutôt débrouillarde – ou culottée, la limite était fine – Thomas coupa la file et interrompit une femme qui rendait ses livres à un employé de la bibliothèque.
- Excusez-moi, mais j’ai trouvé ce bouquin par terre, à l’entrée…
Il déposa le carnet sur le plan de travail. Il fit demi-tour, avant que quelqu’un ne s’en prenne à lui pour avoir osé perturber la file, mais il fut immédiatement apostrophé par l’employé.
- Monsieur, ce livre n’appartient pas à la bibliothèque.
Thomas adressa un regard interrogatif à son interlocuteur. L’employé devait friser la cinquantaine, ses cheveux grisonnants étaient tirés en une queue de cheval et il avait l’oreille percée.
Il est resté à Woodstock, lui ou quoi ?
Le baba-cool sur le retour lui tendit le livre. L’étudiant hésita, puis sous le regard menaçant de la femme qu’il avait interrompue, il s’en saisit et monta au deuxième étage.
Thomas s’installa sur une table, loin de la foule de travailleurs. Il se connaissait : s’il avait la moindre excuse pour se divertir, sa journée était foutue. Alors il valait mieux s’éloigner autant que possible de la gent féminine…
Loin des proies potentielles…se dit-il dans un petit sourire. C’est que le célibat commencerait à se faire difficile…
Avant toute chose, il sortit le « vingt minutes » de son sac et commença à feuilleter le journal gratuit.
« L’OM vainqueur de la coupe »… Ouais, ça fait presqu’un mois, mais on est toujours heureux de le lire dans le journal.
« Découverte scientifique aux Etats-Unis, nouvelle source d’énergie renouvelable, premier essai en fin d’après-midi ». Bon ça fera plaisir à mes parents, mais on s’en fout…
Il tourna quelques pages et sourit.
Ah voilà ! L’horoscope !
Vierge (lol) : le début de journée sera monotone, jusqu’à ce qu’une rencontre ne vienne perturber votre routine…
Thomas haussa un sourcil.
Mouais…
Finalement, il ouvrit son polycopié de cancérologie et commença à lire. Au bout de cinq minutes, il en avait déjà marre. Son regard balaya la grande salle et retomba dans l’angle de sa table.
Le journal à la couverture en cuir était posé là. Avec une pointe de culpabilité, il ferma son polycopié et tira le livre vers lui.
Il observa le journal sous toutes les coutures. Il n’y avait pas de code barre, effectivement, il n’appartenait pas à la bibliothèque. Ca ressemblait plus à un vieux journal intime.
Son propriétaire devait le chercher… C’était un peu une violation de vie privée, mais comment retrouver son possesseur s’il n’ouvrait pas le journal ?
Sur la première page étaient griffonnés ces quelques mots :
« Journal d’un autre temps »
Il fronça les sourcils.
Cette écriture ressemblait beaucoup à la sienne : les lettres étaient calligraphiées comme celles d’un ordinateur, mais sans être immenses comme l’orthographe habituelle de ses copines. De plus, l’auteur écrivait légèrement en italique… tout comme lui.
Il lut en diagonale les premières pages.
C’est pas possible, quelqu’un se fout de ma gueule !
Il regarda de nouveau autour de lui, cherchant le responsable de cette blague. Mais il n’y avait aucun coupable évident. Et qui savait qu’il passerait par là ?
Julien ?
Non, son ami était gentil et blagueur, mais il était absolument incapable de concevoir un plan aussi construit et abouti…
Il n’en croyait pas ses yeux. Il referma le journal. Il avait une certaine taille. Il ne pouvait vraiment pas se permettre de dévorer un roman aussi près de ses examens.
Pourtant l’envie prit le dessus. Il recommença à la toute première page du récit et se plongea dans l’histoire. Elle était rédigée à la première personne, véritablement comme un journal intime.
Mais au fil des mots et des lignes, malgré sa surprise, il se retrouva plongé à l’intérieur, et plus rien autour de lui ne put le sortir de sa transe…
PARTIE UN : Le big T
01
« It’s the end of the world… » - Dead by sunrise
« Journal d’un autre monde » : c’est le titre que j’ai choisi. Pourtant c’est ridicule, je le sais bien. Nous respirons le même air, et c’est bien la même planète… Malgré les apparences.
Mais comment pourrait-on parler de Terre. Ce serait plutôt la planète Mer !
Les choses ont tellement changé… Mais peut-être devrais-je commencer par le début. Je ne sais pas si je crois en une amélioration prochaine. Je n’espère plus qu’une chose : retrouver mes parents.
Alors pourquoi écrire un journal ? Pourquoi raconter mon histoire ? Au début je me disais que les générations futures… Mais quelles générations ?
Non, j’écris parce que si je ne consigne pas mes pensées, j’ai peur de mélanger les faits et mon imagination…
J’ai peur que si je n’écris pas… Je devienne fou.
Mon nom est Thomas.
J’ai un nom de famille, bien sûr. Mais cela n’a plus d’importance. Ma qualification est ma carte d’identité : je suis premier plongeur à bord du « Loïs & Clark ». C’est le nom de notre bateau, enfin, plutôt son surnom.
C’est un jeu de mot, vous comprenez ? Lewis & Clark étaient les deux premiers explorateurs de l’Amérique. C’est là que nous allons, et comme nous avons besoin de courage, pourquoi ne pas emprunter le nom d’un type imbattable ?
Enfin, je tiens à préciser que ce n’est pas moi qui ai nommé ce bateau. Son appellation originale est vraiment nulle…
Au début j’étais exclusivement connu sous le nom de « Longue vue ».
Enfin, c’est une longue histoire, et je vous avais promis de commencer par le début, alors le voilà…
Tout a commencé le 5 juin 2010. La date qui changea le monde.
Le jour du big T.
J’étais occupé à réviser et flipper pour mes examens approchants. Notez que si j’avais su que le corps entier du professorat de ma faculté finirait noyé, je me serais fait moins de mouron…
J’étais à la bibliothèque pour réviser pendant la journée. Puis je suis rentré chez moi en milieu d’après-midi.
J’ai pris le tramway pour la dernière fois de ma vie, puis j’ai pris ma voiture et j’ai conduit de Marseille à la Fare les Oliviers, mon village natal.
Je me garais dans le gravier de la propriété de mes parents quand mon chien Flip vint m’accueillir.
C’était un boxer fauve. C’était pour lui que je rentrais. Il fallait bien quelqu’un pour s’occuper de ses quarante kilos de joie de vivre. Je n’étais pas encore sorti de mon siège qu’il m’avait sauté dessus pour me lécher le visage.
Je me suis libéré tant bien que mal et j’ai pris une grande bouffée d’air. J’adorais la campagne. Vivre dans la colline, pouvoir croiser des lapins à la tombée de la nuit ou bronzer à poil sur la terrasse avec personne à des kilomètres… le bonheur !
J’ai fait le tour de la propriété de mes parents puis je suis rentré avec ma clé. J’ai servi une gamelle de croquettes au chien, pour qu’il me lâche la grappe, puis je me suis installé à la table du salon pour tenter d’inscrire dans ma caboche quelques informations de cancérologie.
Je me souviens du moment où c’est arrivé. Je venais de lever les yeux vers l’horloge murale – comme toutes les cinq minutes quand je révise – et elle indiquait 16h27.
C’est là que je l’ai aperçu. Au début j’ai cru à du brouillard. Ce qui est ridicule puisqu’en près de vint cinq années dans le midi, j’ai dû voir trois fois du brouillard. Et sûrement pas en début de mois de juin…
Je me suis levé. Le chien s’est mis à aboyer. Et j’ai réalisé. Il y avait un mur d’eau qui arrivait à toute vitesse dans ma direction. Ce n’était pas un mur… Il n’y avait pas de mot pour décrire ça.
C’était de l’eau, ça j’en étais certain, malgré la couleur terre qu’elle arborait. Malgré les morceaux de maisons qu’elle emportait dans son sillage. A la base, c’était une bête eau de mer !
Mais cette vague. Elle était tellement gigantesque ! C’était comme si dix stades Vélodrome alignés les uns à côté des autres étaient projetés sur moi en même temps. Elle devait faire trente mètres ! Non, plus ! Cinquante, quatre-vingt ?
Je me suis jeté sur le canapé. Ridicule. Pourtant c’était le réflexe qui sauva ma vie. En moins de temps qu’il n’en fallut pour le dire, la vague franchit les kilomètres qui la séparaient de ma maison et la traversa.
Parfaitement, elle traversa les portes fenêtres comme si c’était des brindilles. Chacune des vitres explosa. Un pylône en pierre explosa la cheminée et passa au travers de la salle à manger.
Adieu la cancérologie… Mes polys étaient perdus à jamais.
Le bruit était monstrueux, on aurait dit un mélange entre le siphon de la baignoire puissance dix milliards et un volcan en éruption.
Le canapé se retourna – avec moi à l’intérieur – et se retrouva bloqué entre deux piliers fondateurs de ma maison. Je suis resté là. Ma tête avait un petit peu rencontré mon genou. Le genou avait gagné et j’arborais une balafre au niveau du front. Ma cheville s’était coincée sous le canapé et me faisait un mal de chien.
Une branche pulvérisa le centre molletonné du canapé, mais se retrouva bloquée à quelques centimètres de mon œil.
Puis le bruit s’éloigna, et l’eau commença à dégouliner autour de moi.
De mon pied libre, j’ai shooté dans le canapé pour qu’il se retourne. Je me suis doucement mis debout. Et j’ai constaté le massacre autour de moi.
- Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? ai-je murmuré.
Car c’était le mot ! Est-ce que les médias n’étaient pas censés prévenir si un tsunami s’apprêtait à pulvériser la côte bleue ?
La télé, réalisai-je.
Par un quelconque miracle, elle avait été épargnée et trônait toujours en maîtresse de maison dans l’angle.
Je retrouvai la télécommande dans un coin opposé, notai au passage l’absence des deux autres canapés – eux avaient dû finir leur route plus loin dans la colline – et m’approchai de l’écran…
J’appuyai sur le bouton. La télévision lança quelques étincelles et implosa. Je me projetai au sol pour éviter de partir en fumée.
- Ha bravo mon ptit Tom ! hurlai-je contre moi-même. Bac plus quatre et t’es pas foutu de penser qu’allumer un appareil électrique dans une baraque inondée ce n’est peut-être pas la meilleure idée !
Abruti !ajoutai-je pour la forme.
Je pris quelques instants pour me calmer et réfléchis quelques minutes avant de réaliser ma prochaine trouvaille.
J’ouvris un placard de la cuisine après avoir contourné une balançoire que je n’avais jamais vu là, et sortis un poste de radio. Il était sec. Je fis un peu de place sur le plan de travail, épongeai le reste de flotte avec mon t-shirt et posai l’engin avec délicatesse.
Puis je me mis à la recherche d’un signal. Ô surprise : ni RTL2, ni RFM sur les ondes… Mais après quelques temps, un éclat de voix se fit entendre au milieu des crépitements. Je réglai avec plus de justesse et écoutai la voix comme le messie. Seuls des morceaux me parvenaient.
- … La première vague a fait des ravages…
Première ?
- … Tout contact avec les Etats-Unis coupé… Eux, les premiers touchés par le big T… Le big Tsunami…
Je réfléchis à toute vitesse. Comment la vague pouvait-elle toucher les Etats-Unis et la mer méditerranée ? Je devais revoir ma géographie, parce que normalement…
- … Doivent se préparer pour la deuxième vague… Le vrai tsunami…
Un frisson me parcourut l’échine. Le « vrai tsunami » ? Mais qu’est-ce qui venait de passer sur ma maison si ce n’était pas le vrai tsunami ?
Je sortis sur la terrasse. Le gravier autour de la piscine avait été complètement emporté. Ainsi que la moitié du toit : je pouvais voir l’intérieur des deux chambres à l’étage. Il ne restait plus grand-chose de la façade exposée plein sud. Je me retournai pour voir l’étang de Berre complètement vidé. La raffinerie avait été entièrement emportée. Les maisons alentours semblaient tout autant déchirées par la vague.
- Une deuxième, murmurai-je.
Mais comment résister à quelque chose d’encore plus puissant que ça ? Je regardai autour de moi : rien n’avait été épargné ! Les centaines d’oliviers de mes parents s’étaient faits déchiqueter, il n’y avait pratiquement plus un arbre à l’horizon !
La cave peut-être ? Je fis le tour. Les fondations étaient toujours en place. Certes, l’endroit avait résisté, mais il était complètement inondé !
Je retournai à mon point de départ. Finalement, la seule chose à avoir résisté était…
- La piscine.
Sans le gravier, elle semblait sortir directement de la terre, pourtant elle n’avait pas bougé, et demeurait bien fixée au béton. Je sautai pour attraper le rebord, désormais surélevé…
Il y avait un peu de terre à l’intérieur, en plus de l’eau. C’était une idée ridicule qu’on a lorsqu’on est enfant…
C’est comme croire que si un ascenseur tombait, on pourrait s’en sortir en sautant à pieds joints, au moment où il toucherait le sol.
Penser que je pourrais survivre à un tsunami au fond de ma piscine… J’étais loin d’être une lumière ! Pourtant…
Je me précipitai dans le garage. Le temps était compté : qui pouvait dire à quel moment l’autre vague frapperait ?
Mes parents étaient extrêmement branchés nature, sport. Ils m’avaient emmené faire de l’escalade dans l’Himalaya, plonger en Nouvelle-Calédonie au milieu des requins…
Nous avions trois bouteilles de plongée. Je tractai deux des blocs dans la piscine et les jetai à l’intérieur. Je capelai le dernier : jacket, détendeur, manomètre. Je fouillai dans le bazar qu’était devenu le garage et réussis à extirper ma combinaison et un ordinateur de plongée.
Mon téléphone portable était toujours dans ma poche. Bien que mon pantalon soit un peu humide, il avait survécu.
Je trouvai une pochette plastique – spécialement adaptée à la plongée – le fourrai à l’intérieur et le coinçai entre ma peau et la combinaison de plongée. Lorsque j’arrivai de nouveau devant la piscine, ma bouche s’ouvrit en grand.
La vague qui s’avançait vers moi était plus grande que la tour Eiffel. Plus grande que tout ce que j’avais vu dans ma vie. Rien au monde ne pouvait être aussi énorme que ça. C’était impossible ! Ce n’était pas naturel ! Oubliez les trente mètres ! Celle-là devait en faire trois cents !
J’aimerais vous mentir. Vous dire que j’ai pris mon courage à deux mains, que j’ai gardé mon sang froid. Mais l’être qui fait face à une telle immensité sans trembler n’est pas humain.
Une boule s’est prise dans ma gorge. Mes yeux se sont remplis de larmes. Mon corps s’est retrouvé pris de tremblements incontrôlables.
Je sais que ça ne devrait pas se produire, j’étais adulte après tout. Mais vous savez quoi ? Une vague de plusieurs dizaines de mètres projetée à je ne sais combien de centaines de kilomètres/heures non plus, ça ne devrait pas exister.
Par je ne sais quel miracle, je me suis hissé sur le bord de la piscine. J’ai pris une grande inspiration, mis le détenteur dans ma bouche et ajusté mon masque sur mon visage. J’ai fermé mes yeux. Je forçais tellement sur mes paupières que des petits éclairs palpitaient contre ma rétine.
J’ai pensé à mon chien que je n’avais pas revu depuis la première vague. A mes amis à la faculté. Et surtout j’ai pensé à ma famille. Mes parents. Ma mère à qui j’avais raccroché au nez, quelques heures plus tôt…
Et j’ai sauté dans l’eau.
02
« C’est pas l’homme qui prend la mer, c’est la mer qui prend l’homme… » - Renaud
Mes yeux sont restés fermés pendant toute la durée de la secousse. Je me suis raccroché aux blocs de plongée qui devaient chacun peser une trentaine de kilos. Mon masque s’est pratiquement fait arracher de mon visage, mais la lanière l’a maintenu autour de mon cou. A un moment, tout est devenu noir : quelque chose avait dû recouvrir la piscine. Mais mes yeux sont restés fermés envers et contre tout, jusqu’au moment où j’ai senti le courant se calmer autour de moi.
Lorsque je les ai rouverts, un morceau de tôle à quelques dizaines de centimètres me piégeait dans la piscine. Heureusement que je m’étais installé dans la fosse de la piscine, sans quoi j’aurais été écrasé…
Je poussai le morceau de toit qui me bloquait la sortie, mais il refusa de bouger, comme si une pression monstrueuse le maintenait en place.
Ce serait vraiment, vraiment, VRAIMENT con d’avoir survécu au tsunami et de mourir noyé dans ma piscine !m’énervai-je.
Mais je me calmai aussitôt. Il ne fallait pas que j’hyperventile : mon rythme cardiaque s’accélèrerait, je consommerais plus d’oxygène et donc je survivrais moins longtemps sous l’eau.
Pendant quelques minutes, je restai focalisé sur ma respiration.
Inspiration profonde, expiration profonde.
Lorsque je fus calme. Je palmai doucement vers un angle de la tôle et tentai de la soulever, sans plus de succès.
J’enlevai mes palmes, me campai le dos contre le fond de la piscine et donnai des coups de pieds. Rien.
Bon…
Je ne voulais pas paniquer, mais j’avais bien conscience que les cuisses étaient les muscles les plus puissants du corps humain, et que si je n’arrivais pas à soulever cette foutue tôle avec les pieds, je n’y arriverais pas plus avec les mains…
Je poussais un bloc pour me déplacer, quand une idée jaillit de mon esprit.
Je me suis souvenu ce qu’un de nos amis avait raconté une fois à une des soirées « plongée passion » de mes parents.
Il était moniteur et un jour, dans son club de plongée, un client avait ouvert une bouteille d’oxygène sans faire attention. La pression était tellement forte que le bloc avait traversé le plafond. Depuis, il avait laissé « l’ouverture » sur l’étage pour mettre en garde les plongeurs amateurs…
Si ça marche, je le retrouve, et je l’embrasse sur la bouche !
J’avais deux bouteilles, il ne fallait pas que je rate mon coup. Je fondis mon corps autour de la bouteille, puis dirigeai la valve vers le bas.
Enfin, j’ouvris l’arrivée d’air à fond. Mon corps décolla avec la bouteille. Elle se fracassa contre la tôle. Je forçai avec mes pieds pour accroître la pression contre le morceau de métal. Et il lâcha. Il se souleva doucement : tout ce qui s’était amassé par-dessus glissait sur les côtés. Lorsque la tôle bascula complètement, j’arrêtai l’arrivée d’air de mon bloc.
Un sourire stupide s’inscrivit sur mon visage, malgré le détendeur. Mais mon répit fut de courte durée.
Mon regard se fixa sur la surface. Elle se trouvait à plusieurs mètres de là. Loin, une vingtaine de mètres peut-être ?
Mais lorsque la vague fracassait la côte, ne devait-elle pas se retirer ? Pourquoi l’eau restait sur la terre ? Et surtout comment ?
Je lâchai la bouteille de plongée qui m’avait libéré. Elle retomba à côté de l’autre. Si j’en avais besoin, au moins, je saurais où les trouver…
Je gonflai mon gilet de plongée. Je n’aurais eu aucune idée de combien de minutes de palier faire, sans mon ordinateur de plongée.
J’avais obtenu mon niveau 3 de plongée sous marine. Je savais donc que je devais m’arrêter à six ou trois mètres de profondeur pour laisser le temps à mon corps d’évacuer l’azote qui s’était logé dans mon métabolisme…
Mais, les plongées sous-marines se faisaient au-dessous du niveau de la mer. La Fare les Oliviers devaient être à plus deux cent mètres normalement, pas moins vingt…
J’atteignis finalement la surface. Je rejetai mon détendeur pour ne pas gaspiller mon air et me laissai flotter grâce à mon stabilisateur.
Je devais être en train de rêver. C’était absolument impossible ! De l’eau à perte de vue : plus de « La Fare les Oliviers ». Ce serait bientôt « La Fare les baleines » !
Plus de bords de mer, je pouvais regarder d’un côté comme de l’autre, la mer était partout ! Comment était-ce possible ? Il fallait des millions de mètres cubes pour remplir un tel volume d’eau !
Des débris flottaient à la surface, mais aucun suffisamment grand pour que je puisse monter dessus. Pourtant il me fallait trouver un refuge, car je tomberais tôt ou tard en hypothermie, malgré la combinaison de plongée.
Sans compter que j’aurais bien bu un ptit verre. Et je n’en pouvais tellement plus que je n’aurais même pas craché sur de l’eau ! Potable, bien sûr…
Je restai quelques minutes là. Puis finalement, j’aperçus une surface qui reflétait le soleil. Je nageai en direction de la lumière – en espérant que ce ne soit pas la route pour le paradis.
Mais le reflet disparut. Avais-je rêvé ? N’était-ce qu’une illusion d’optique ou mon esprit qui ne voyait que ce qu’il avait envie de voir ?
Je continuai dans la même direction. De temps en temps, je plongeais la tête sous la surface pour tenter de me repérer. Mais rien ne ressemble plus à un fond sous-marin qu’un autre fond, surtout quand un tsunami vient d’égaliser le terrain…
Je fronçai les sourcils pour me protéger des reflets du soleil. Oui, c’était bien un morceau de terre qui dépassait de la surface ! C’était l’avantage de vivre dans la colline ! Un morceau de celle-ci triomphait au-dessus de cette vaste étendue d’eau.
Pris d’un nouvel espoir, je palmai comme un malade en direction de la terre promise. Lorsque je l’eus atteinte, j’attrapai une racine et me hissai sur la roche. Je me séparai de mon gilet et de la bouteille, enlevai mon masque et restai là, pendant quelques minutes. Je laissai le soleil me réchauffer de ses rayons bienveillants.
Il n’y avait pas énormément de terre. J’en eus vite fait le tour… Il y avait peut-être en tout et pour tout cinquante mètres de terrain en surface. Plus quelques îlots autour, qui composaient autrefois les plus hauts pics de la colline. Les quelques parcelles de terre étaient trempées, et mes pieds s’y enfonçaient. Heureusement, la structure était principalement composée de roches imperméables, qui ne bougeaient pas.
Je devrais être tranquille un petit moment, me rassurai-je. Le temps que les hélicos de l’armée accourent pour tous nous sauver. Il faut sauver le soldat Thomas !
Vous trouvez peut-être que j’avais l’air d’un gros rigolo frimeur. A sortir une boutade toutes les trente secondes. Mais vous ne pouvez pas vous rendre compte si vous ne l’avez pas vécu.
L’humour, c’était tout ce qu’il me restait. Je me raccrochais à chaque petit sarcasme, à chaque ironie de la situation.
J’étais seul. J’ai attendu pendant des heures et des heures, en plein soleil que quelqu’un montre le bout de son nez.
J’avais oublié l’idée d’être secouru par l’armée. Je voulais simplement voir un autre être humain. Une seule personne. J’étais dans un petit village, certes, mais j’étais à vingt minutes de grosses agglomérations comme Marseille. Alors pourquoi ne voyais-je personne sortir de l’eau ?
La Fare les Oliviers comptait huit mille habitants ! Alors pourquoi pas un seul n’avait nagé jusqu’à la colline, le point le plus haut du village ?
Pourquoi ?
J’étais seul, seul avec mon sens de l’humour. Et on était tous les deux terrifiés…
***
J’avais passé la journée à traquer un quelconque signe de vie, de tous les côtés de mon minuscule archipel. Sans succès.
J’avais fini par m’endormir malgré moi. La faim avait fait grogner mon estomac pendant des heures, mais le contrecoup m’avait complètement assommé. Et je ne me réveillai que le lendemain matin, lorsque les premiers rayons frappèrent la surface de l’eau.
C’était étonnant de voir la luminosité à cinq heures du matin, lorsqu’il n’y avait pas d’immeuble pour étendre leur ombre partout…
Il fallait que je me bouge. Mon estomac n’allait pas se remplir seul. Je levai les yeux au ciel. Et a priori, l’eau potable n’allait pas non plus tomber du ciel, tout de suite…
Je me rapprochai de la surface. Mon bloc de plongée avait le cul dans l’eau. Je fronçai les sourcils, je l’avais pourtant bien éloigné du rivage la veille. C’était mon seul atout dans ce nouveau Waterworld…
Je le tirai pour le mettre au sec. Mais un doute me prit. Je fis le tour de mon petit îlot.
- Merde, murmurai-je.
L’eau avait monté.
Mais bon sang, comment c’est possible ?
Il devait y avoir une explication rationnelle ! Pour qu’une telle quantité d’eau perdure au-dessus de la surface, il fallait qu’un continent entier se soit retrouvé immergé. Ou bien, que l’ensemble des glaciers du monde ait fondu. Non, même cela ne pouvait pas entraîner une telle montée des eaux…
Et ça ne se ferait pas en l’espace de quelques heures…réalisai-je avec logique.
Un nuage blanc monstrueux se rapprochait de moi. Je mis la main devant le soleil pour y voir mieux. Ca allait beaucoup trop vite pour être un nuage : il n’y avait pas un poil de vent…
- Merde, répétai-je pour la deuxième fois depuis mon réveil.
Des mouettes, des centaines et des centaines de mouettes !
Des oiseaux, manquait plus que ça ! Ils vont se la jouer à la Hitchcock sur moi…
Je préparai mon matériel de plongée. Il était hors de question que je reste une heure de plus sur ce rocher – qui soit dit en passant sombrait – pour finir en bouffe à gabians !
Le silence était impressionnant. Il n’y avait pas un seul bruit. Pas de voiture, pas d’avion. Personne pour parler, pas de musique.
De musique !
Je descendis la fermeture éclair de ma combinaison de plongée et en sortit la pochette transparente qui contenait mon portable. Je l’extirpai à son tour de sa protection et l’allumai.
- Yes ! hurlai-je aux mouettes lorsqu’il se mit en route.
Allez, allez !
Je touchai le tactile pour appeler ma mère. Mais je reçus un sms de la veille.
Expéditeur : maman.
« Ontaime »
Pas d’apostrophe. Pas de ponctuation. Ecrit à la va-vite.
Heure d’envoi : 16h20.
Mes jambes lâchèrent. Ma respiration se fit haletante. Sept minutes avant que le tsunami n’arrive en France. Les Etats-Unis avaient été touchés avant.
Ces informations résonnèrent dans ma tête.
Ma mère ne dit pas « je t’aime ». Pas depuis que j’ai sept ans, en tous cas…
Ils étaient dans l’avion ?
Je tentais de calculer le temps de vol approximatif, le décalage horaire…
Quel con ! J’aurais dû plus prêter attention à ce qu’elle me disait au téléphone, hier !
Je sortis de mes calculs horaires et décidai d’appeler ma mère.
Allez, décroche, jt’en prie, décroche !
- Bonjour, vous êtes bien sur le…
- Merde ! criai-je.
Je posai le portable sur le sol pour ne pas l’abîmer et sautai quelques mètres plus loin.
- Merde ! Putain de merde ! Espèce de saloperie de mer de merde ! Haaaaaa ! hurlai-je comme un psychopathe.
Je retombai au sol en pleurant. J’étais vidé. Littéralement exempt de toute énergie. Je restai ainsi quelques minutes.
Non, me dis-je finalement.Mes parents escaladent l’Himalaya, ils vont dans les fosses sous-marines de presque cent mètres. Papa sait voler, ce n’est pas un petit amerrissage qui lui ferait peur, même avec un 747.
Je me calmai un peu, puis rappelai ma mère. Je laissai un message lui expliquant que j’allais bien. Que j’apprécierais vraiment qu’elle me rappelle, même si elle était en hors forfait, et que j’allais me débrouiller pour les retrouver.
- Promis, avais-je conclu.
Mon second appel fut pour le samu. Sans réponse, ça ne sonnait même pas. Puis la police. Les pompiers. Julien. La faculté de pharmacie.
Ce dernier, c’était ridicule, j’admets : ils ne répondent pas en temps normal, je ne vois pas pourquoi ils le feraient après l’apocalypse.
J’étais à court d’option. J’éteignis le téléphone pour épargner sa batterie. Et je le rangeai soigneusement dans sa pochette.
Les mouettes se rapprochaient dangereusement. Il fallait que je me secoue, même si la journée ne commençait pas exactement comme je l’aurais souhaité…
***
Je vérifiais une dernière fois mon matériel de plongée et me rapprochai de l’eau. Je me glissai dans la flotte. Elle n’était pas vraiment froide, mais ce n’était pas non plus un bain bouillonnant.
Les fonds semblaient avoir changé : il y avait des algues partout. Il était absolument impossible qu’elles aient poussé dans la nuit. J’attribuai donc ce phénomène au courant. La flore aquatique avait dû se faire emporter avec la vague, au même titre que la terre – ou ma maison…
Je nageais donc en direction de la carcasse de cette dernière lorsque j’entendis un bruit. Lorsque je relevais la tête, le bruit disparaissait.
L’avantage avec l’eau, c’est qu’elle transmet les sons beaucoup plus que l’air.
Je plongeai de nouveau les oreilles sous la surface.
C’était un ronronnement : un moteur !
Et si je l’entendais mieux sous l’eau, qu’au-dessus, c’était que ce n’était pas un hélico, mais plutôt un bateau !
Ca me va !
Je n’allais pas commencer à faire le difficile.
Je me saisis du sifflet accroché à mon stabilisateur et je me mis à souffler jusqu’à ce que ma tête tourne. Le son se faisait plus insistant, je l’entendais désormais même en surface.
Je sifflais de plus en plus. Mon corps pompait l’adrénaline de l’espoir qui se diffusait en moi.
- Ici ! criai-je. A l’aide !
Je sifflai de plus belle.
Et je l’aperçus au loin. Un petit zodiac rouge qui fonçait sur moi. Je me mis à faire de grands signes avec mes bras. Un rire incontrôlable me prit. Et je sifflais, sifflais, comme si ma vie en dépendait ! Ce qui était probablement le cas…
Finalement, mon sauveur arriva à ma hauteur.
- Besoin d’un coup de main ? demanda-t-il en souriant.
- Je sais pas si je n’attends pas le prochain, plaisantai-je.
Il n’était pas très grand et avait dépassé la cinquantaine. Il arborait des cheveux noirs mais n’en avaient plus beaucoup et se servait des restants pour camoufler sa calvitie. Il était en surpoids. En temps normal, j’aurais certainement essayé de calculer son indice de masse corporel, parce que c’était un des points de mon cours de nutrition… Et puis je me suis dit qu’insulter mon sauveur n’était probablement pas la meilleure idée…
Il coupa son moteur et attrapa mon bloc de plongée. Lorsqu’il l’eut tracté à bord, il me tendit une main et m’aida à monter dans le zodiac.
- C’est cool, tu as du matériel de plongée, ça va nous aider… me dit-il.
- C’est celui de mes parents.
Il me tendit de nouveau sa main que je serrai énergiquement.
- Ed Galuen, se présenta-t-il.
- Thomas. C’est ton bateau ?
Il acquiesça.
- Je pêchais lorsque c’est arrivé… Je cherche des survivants depuis…
Il baissa la tête et se gratta la joue.
- J’ai trouvé personne…
J’acquiesçai maladroitement, je ne voulais absolument pas penser à ce genre de choses.
- Tu as de l’eau ? demandai-je en oubliant complètement toute forme de politesse.
Il me tendit une bouteille d’eau en plastique, à moitié entamée.
- N’en prends pas trop, il va falloir qu’on tienne avec ça… rappela-t-il.
Je tentai de tempérer ma soif, il n’empêche que je pris trois rasades monstrueuses. Il me retira la bouteille des mains. Je pouvais difficilement le blâmer…
- Enfile ça, me conseilla-t-il en tendant un gilet de sauvetage orange.
Je le passai autour de mon cou. Une inscription au feutre noir indiquait « Patrick Saurat » sur le bord du gilet.
Je fronçai les sourcils mais passai vite à autre chose. Je n’allais pas me mettre à questionner les choix de tout un chacun. Sûrement qu’Ed aussi avait perdu des gens auquel il tenait…
- Ma maison n’est pas loin, indiquai-je. Je pourrais y retourner, nous ramener des bouteilles d’eau, peut-être des conserves ?
Un sourire se dessina sur son visage, il acquiesça.
- Tu veux tenir la barre ? me proposa-t-il.
Je refusai gentiment. Je l’avais fait plusieurs fois avec mes parents, mais ce n’était pas le moment de faire des expériences. On n’avait qu’un bateau et j’étais bien foutu de le faire couler…
Je lui indiquai la direction, plongeant parfois le visage sous l’eau avec mon masque, pour tenter de me repérer. Finalement, je reconnus mon allée avec le grand portail noir qui la terminait.
- On y est, dis-je en relevant la tête.
Il coupa le moteur et jeta l’ancre.
Lorsque je fus près, il leva son pouce vers moi.
- Ne pars pas pendant que je suis en bas ! lançai-je en ne plaisantant qu’à moitié.
Je plongeai avec un bout accroché à ma taille et un grand sac autour du bras. J’en profiterai ainsi pour remonter les deux bouteilles de plongée qui pourraient nous aider dans le futur à récolter d’autres vivres.
Mon manomètre indiquait 120. Il me restait peut-être quarante-cinq minutes d’autonomie : je n’avais jamais beaucoup consommé d’air en plongeant. Mon ordinateur me donna la profondeur. Il y avait dix-huit mètres d’eau au-dessus de moi.
J’étais pas loin, réalisai-je.
J’accrochai la corde que j’avais descendue aux deux bouteilles de plongée et tirai trois coups secs pour qu’Ed les remonte. Je les vis s’élever progressivement.
Ca, c’est fait !
Puis je me dirigeai vers ma maison. Le toit avait complètement disparu. Les bords de la façade étaient en dents de scie. La vague avait vraiment fait des ravages…
Mais au moins, la luminosité dans la maison n’était pas trop mauvaise, même à cette profondeur.
J’entrai par un mur éventré. Une ombre vint cacher le soleil quelques instants. Le vent avait dû se lever et bouger des nuages… Ce n’était pas une mauvaise chose, on aurait peut-être de la pluie.
Je pénétrai dans mon ancien salon. Une ombre passa dans le sens opposé. Je me retournai immédiatement.
C’était quoi cette blague ? Le vent ne change pas de sens comme ça.
Je cherchais des yeux le zodiac. Il ne pouvait pas m’avoir laissé ! Finalement mon esprit paranoïaque se calma lorsque j’aperçus la coque du bateau. Je me calmai et commençai à fouiller à travers les placards. Je fourrai quelques boites dans mon sac. J’ouvris le frigo et récupérai deux bouteilles d’eau et une de soda – pour une occasion spéciale !
Je traversai le garde manger et ouvrit les grands placards.
Voilà la mine d’or !
Je chargeai autant que possible mon sac. Il serait toujours temps de redescendre, mais l’oxygène n’était pas illimité. Je jetai un coup d’œil à mon manomètre : 80. Il ne fallait pas que je tarde trop, surtout que j’allais probablement être coincé quelques minutes au palier…
J’allais refermer le placard, quand quelque chose me frôla l’épaule. Je sursautai et envoyai un coup dans ce qui m’avait touché.
Je faillis pousser un cri. C’était Flip, mon chien. Il était mort noyé et se voyait contraint d’errer entre deux eaux, coincé dans cette bâtisse.
Une nouvelle fois, je sentis mon pouls s’accélérer.
Dans les films, je me fichais toujours de voir le héros torturé ou massacré, mais son animal de compagnie ne pouvait pas mourir ! C’était inhumain ! Ca n’arrivait d’ailleurs jamais, il n’y avait que dans Alien 3 où le pauvre Rottweiler se faisait exploser de l’intérieur par l’extraterrestre démoniaque !
Ca devenait trop réel, je n’arrivais plus à contrôler ma respiration, pourtant mon regard restait rivé sur Flip.
Je palmai comme un malade jusqu’à la surface et frappai ma tête contre le plafond du garde manger. Par réflexe, je rejetai mon détenteur et mon masque, et je me mis à pleurer.
Au bout de quelques secondes, je réalisai que je n’étouffais pas. Pendant le big T, une poche d’air avait été faite prisonnière entre le haut des portes et le plafond. J’avais quelques minutes d’oxygène, tout au plus.
Mais je ne pouvais pas bouger. Je savais que si je repassais la tête sous la surface, je le verrais. Immobile, pour toujours.
Tout prenait une tournure trop horrible. Ce n’était pas un rêve. On n’était pas dans « Le jour d’après » et les choses n’allaient pas s’arranger. Les gens que j’avais aimés avaient disparu. La plupart pour toujours.
J’avais connu Flip alors qu’il avait un peu plus d’un mois. J’étais en 6ème, cela faisait plus de dix ans. Mes parents et moi étions allés chez des amis qui venaient d’avoir une portée. Et nous étions repartis avec lui.
Nous avions passé ma première année en pharmacie à se partager le canapé : moi qui révisais, lui qui… hum, occupait ses journées à dormir.
C’était moi qui le gardais quand mes parents partaient en voyage et il dormait dans le fauteuil collé à mon lit.
Et parfois, lorsqu’il y avait de l’orage, je le laissais grimper sur ma couette.
C’était mon ami. Et il était mort.
Je pris quelques secondes puis je me préparai. Je fermai les yeux dans mon masque. Je devais avoir l’air ridicule à dix huit mètres de profondeur, les yeux fermés. Mais il n’y avait personne pour se moquer de moi, de toute façon.
A tâtons, je récupérai le sac de vivre que j’avais laissé tomber sur le sol. Lorsqu’une masse vint me toucher, je l’écartai avec délicatesse et je trouvai mon chemin vers la porte.
J’ouvris enfin les yeux et quittai ma maison. C’était la dernière fois, je le savais. Il était hors de question que j’y retourne. Je trouverais d’autres endroits où débusquer de la nourriture. Mais je ne remettrais plus jamais les pieds ici. Ce n’était plus chez moi. La nature avait repris ses droits…
***
Je remontai donc à la surface. Lorsque je sortis la tête de l’eau, Ed me lança :
- Tu es resté bien longtemps, j’ai eu peur.
- Un contretemps, marmonnai-je.
Je lui tendis ma bouteille de plongée et mon masque. Puis d’un grand coup de palmes, je me hissai dans le zodiac.
Mais j’avais dû surestimer mes forces parce que ma tête frappa pratiquement le fond du bateau. Je poussai ce qui traînait pour me faire de la place. Et, en écartant un sac, je découvris une pagaie.
Une substance gluante coulait du bout de bois. Je retirai mes palmes et touchai de l’extrémité du doigt le liquide.
Il était rouge. Mes sourcils se froncèrent. Je sentis une forme immobile dans mon dos et un frisson me parcourut. Je rapprochai la substance de mon nez, elle avait une odeur métallique.
Je déglutis difficilement.
Mon esprit tournait à mille à l’heure. Sans que je puisse y faire quoi que ce soit, une scène se jouait dans ma tête. Une histoire qui expliquait que le nom sur les gilets de sauvetage soit « Patrick Saurat » et non « Ed Galuen ». Qui expliquait le sang sur la pagaie… Et le silence derrière moi.
Patrick Saurat devait être un marin. Ou il avait simplement sorti son bateau pour faire un tour, sans se douter qu’il serait plus en sûreté sur l’eau que sur terre pendant le tsunami. Lorsque la vague était passée, il avait cherché des survivants. Puis il avait trouvé Ed, il l’avait laissé monter dans son zodiac et lui avait offert de l’eau et des vivres.
- Il faudra les économiser, avait-il dû dire.
Et l’esprit d’Ed avait certainement pensé : « il y en aurait plus pour moi si j’étais seul… ».
Il avait dû attendre que son sauveur ne tente de démarrer le zodiac, lui offrant son dos. Ed avait ramassé une pagaie, et avait donné un coup magistral à la tempe de sa victime. L’homme avait dû perdre connaissance, sa blessure avait tâché le morceau de bois.
Son agresseur avait traîné le corps sur le boudin du zodiac, et l’avait balancé à l’eau sans vergogne.
Je n’osais plus respirer, ni même me retourner.
- J’aurais préféré que tu ne vois pas ça… dit une voix froide derrière moi.
Je me redressai enfin et fit face à Ed. Il tenait une pagaie dans sa main. Mon regard se fit accusateur.
- Tu ne veux pas faire ça, assurai-je avec une confiance que je n’avais pas.
Il eut un sourire mauvais et son œil exprima un tic compulsif.
- Je l’ai déjà fait une fois, alors…
Il balança sa pagaie sur moi, visant ma tête. J’esquivai. Il perdit l’équilibre. J’en profitai pour attraper à mon tour sa pagaie et la poussai contre lui. Son visage se contracta, il n’avait pas pensé pouvoir rater son coup.
Hé oui, gros lard, je suis sportif !
J’avais le dessus : avec presque une trentaine d’années de moins que lui et une carrure athlétique, il ne faisait pas le poids. Il penchait dangereusement en arrière, il jeta un coup d’œil derrière lui. Je profitai de son inattention et lui administrai un magistral coup de tête, dont Zizou même aurait été fier.
Il lâcha la pagaie, d’un revers je lui expédiai le bout de bois dans son gros bide. Il bascula par-dessus bord.
Au bout de quelques secondes, son gilet de sauvetage le remonta à la surface. Il cracha l’eau qu’il avait avalée.
- On peut s’arranger, cracha-t-il. Excuse-moi, j’ai eu peur ! Mais on est seuls, on doit se serrait les coudes !
Mon visage laissait paraître mon dégoût. Je ne lui faisais pas confiance. Pas une seule seconde. Ed était un monstre, un démon. Une créature répugnante qui ne méritait pas de porter la qualification d’être humain.
Mais si je le laissais là, je le condamnais à mourir. Si je faisais ça, je ne pourrais plus vivre avec cette culpabilité.
C’était stupide, j’en étais pleinement conscient. J’avais toute confiance dans le fait qu’il tente à nouveau de se débarrasser de moi. Mais j’avais été élevé dans le respect de la vie, quelle qu’elle fût…
Je tendis une main vers lui. Il l’attrapa.
Je m’apprêtais à tirer. Pendant une fraction de seconde, son regard traduisit la terreur. Une forme noire énorme était sous lui.
L’instant d’après je vis un monstre émerger sous Ed. La gueule énorme de l’animal entoura complètement l’homme. Ed poussa un cri.