Pour raconter la traque géante d’Oussama Ben Laden menée par une unité des forces spéciales américaines pendant près de dix ans, la réalisatrice Kathryn Bigelow et le scénariste Mark Boal (déjà auteurs de Démineurs) jouent la carte du cinéma vérité. Au programme de cette œuvre-fleuve ? 2H40 de réalisme documentaire, dépouillé et traversé d’éclairs cinématographiques réjouissants. Cette (en)quête, ils choisissent de la dérouler via Maya, personnage-centre d’un récit excellemment documenté, figure de femme forte qui rappelle l’Erin Brockovich de Soderbergh, par sa solitude et sa détermination conjuguées d’un côté, par l’intensité de jeu de Jessica Chastain de l’autre, une Julia Roberts contemporaine, très à l’aise au cœur d’un environnement masculin, âpre et violent. Bigelow prive sa mise en scène et son héroïne de tout sentimentalisme accouchant d’une œuvre à la rigueur exemplaire, qui cherche davantage à s’approcher au plus près de la vérité qu’à séduire quiconque. Zero Dark Thirty mêle alors à merveille souci du détail- propre au travail journalistique- et désir d’entertainment et de cinéma. In fine, il se révèle passionnant sur les deux tableaux. Sur presque trois heures, il ne souffre pas d’une seule baisse de rythme ni d’une seule faute de goût, et sur le fond et sur la forme.
La séquence finale, diamant brut, tendue à souhait, en est le parfait exemple: l’assaut des Navy Seals sur la maison où se cache Ben Laden offre un crescendo visuel et émotionnel maîtrisé. Il y a la puissance du documentaire, et, il y a la qualité de la reconstitution. Tout, de la façon de filmer l’action dans le crépuscule (caméras sophistiquées, nerveuses) à la force des enjeux politiques, mondiaux, individuels et collectifs, est parfaitement contrôlé par la cinéaste. Avant ce climax : deux heures pour dix ans de fausses pistes, d’interrogatoires, entre bureaucratie rigide et territoires hostiles. Des jours et des jours à éplucher des dossiers, à interroger les diverses personnes impliquées, à arpenter les routes du Moyen-Orient. Dix années éprouvantes que Bigelow filme à hauteur d’homme, de l’intérieur. Des bureaux, des salles de torture, des voitures, des rues fourmillant de gens et de désordre. Le point de vue est unique : le leur. Ils observent l’explosion du terrorisme à la télévision, les attentats meurtriers de leurs chaises, fouinent le passé, traquent sur Google Map, gagnent du terrain, et puis s’épuisent. Leur guerre est mentale, intérieure, omniprésente. Bigelow n'offre finalement rien d’autre qu'un film de guerre éminemment contemporain, intraitable et solide, où les combats se mènent désormais entre les murs, des champs de bataille technologisés, idéologisés, imperceptibles.