Nombreux sont ceux qui considèrent que l'Occident est englué dans la crise et que le siècle appartient désormais à l'Asie. On envisagera ici le contraire.
Par Guy Sorman.
À trop se focaliser sur les statistiques économiques à court terme, on risque de perdre de vue les tendances longues de nos sociétés et les renversements du monde. Si l'on écoute les commentateurs du quotidien et les marchands de prophétie à bon marché, l'Occident – nous assure-t-on – serait en crise et le siècle appartiendrait à l'Asie. On envisagera ici le contraire, non par esprit de contradiction mais parce que l'avenir des nations nous semble reposer sur des fondements plus durables que les cours de la Bourse, le taux du Libor, voire le taux de croissance de l'année. Ce qui dans la longue durée est essentiel ? L’État de droit et la paix, résultats de siècles de culture et d'expérience.
Mais si on regarde vers l'Asie, en ce moment même, les risques de guerre sont réels, entre la Chine, le Japon, les deux Corée, Taïwan et le Vietnam. La guerre n'est pas certaine, mais elle paraît envisageable dans une civilisation où il n'est pas de tradition de négocier et où il convient, avant tout, de ne pas perdre la face : pareille situation n'est pas de nature à attirer les investisseurs à long terme. L’État de droit en Asie ne progresse pas plus : la corruption en Chine, mais en Inde aussi, décourage l'esprit d'entreprise, chez les entrepreneurs nationaux et plus encore internationaux. Quant aux salaires chinois qui ont contribué à désindustrialiser l'Occident, ils progressent vite et deviennent moins attractifs : le poids relatif du salaire dans les produits finis détermine de moins en moins la localisation d'une industrie.
Par contraste, les pays occidentaux retrouvent des couleurs : la paix y est ferme, la justice relativement équitable, les contrats respectés, la corruption pas inconnue mais minime. Et il se trouve, simultanément, que les innovations techniques récentes favorisent le regain de l'Occident. L'exploitation du gaz de schiste et le forage horizontal des réserves de pétrole, par exemple, restaurent l'indépendance énergétique de l'Occident, aux États-Unis, au Canada, en Europe : ils font baisser les prix de revient. La robotisation de la production industrielle, voire de certains services, et les avancées rapides de la reproduction en trois dimensions, réduisent la part salariale dans les coûts à telle enseigne que les délocalisations ne confèrent plus un avantage décisif. Pour toutes ces raisons, on envisagera une relocalisation et une ré-industrialisation en Occident : l'avantage relatif de la production de masse au loin décline chaque jour, ce dont Chinois et Indiens se rendent compte. Dans le sens de la relocalisation, militent aussi les exigences de qualité et de rapidité chez les consommateurs. S'y ajoutent les exigences des chercheurs en technologie industrielle qui constatent que l'on innove plus vite quand on contrôle toutes les étapes de la production plutôt que de s'en tenir éloignés.
Ce regain envisageable de l'Occident pourrait évidemment être brisé par des politiques économiques maladroites, de celles qui découragent les innovateurs et les entrepreneurs : une fiscalité excessive, des pesanteurs bureaucratiques insupportables, des normes idéologiques anti-progrès (comme le refus français d'exploiter le gaz de schiste) et des spéculations suicidaires comme celles qui ont failli détruire le système financier et bancaire mondial.
Mais, au total, la confiance devrait revenir en Occident parce que les tendances que nous avons recensées plus haut, ce que l'on appelle l'histoire longue, finiront par l'emporter sur les lubies politiciennes, les idéologies de circonstances et le catastrophisme. Parions donc, sans risque excessif, que le siècle à venir sera occidental et le restera aussi longtemps que l’État de droit et la paix y seront la norme ; les pays émergents, on le regrette, en restent encore fort éloignés.
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