Sans moi, rien ne s’est fait ;
voilà pourquoi je me suis arraché à moi-même,
c’ est-à-dire à ce moi qui a été.
Je suis celui sans qui rien ne se fait.
Je suis celui sans qui rien ne s’est fait.
Je suis celui qui a témoigné
de l’existence de Dieu.
Je suis celui qui a témoigné
de l’inexistence de Dieu, car
je l’ai rendu visible.
Je suis fait par Dieu, car
c’ est moi qui l’ai fait.
Je ne suis ni bon ni mauvais,
je suis, tout simplement.
Je suis le verbe « Je suis ».
Je suis l’oreille qui entend le verbe « Je suis ».
Je suis l’esprit qui comprend le verbe « Je suis ».
Je suis le corps absurde du « Je suis »,
ainsi que ses lettres.
Je suis le lieu où existe « Je suis »
ainsi que le lit où il dort.
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Nichita Stănescu (1933–1983) – Les Non-mots (Necuvintele, 1969) – Traduit du roumain par Jan H. Mysjkin