L’explication peut commencer. D’abord, le salut. Le moment crucial du salut. Prétexte à pantomime qui offre au comédien un bref moment d’abandon total que le conférencier nomme « brisé fondu ». « Courbure du dos », « nuque à 37° ». La silhouette est voutée, fondue, le regard se coule sur les chaussures qu’il faut, précisent-ils, bien cirer, pour garder l’air satisfait. Aérodynamique, comme un plongeur avant le saut de l’ange, Dominique redresse les fesses, tend l’équerre de son visage, les boucles en formation, s’abandonne enfin au potentiel tonnerre d’applaudissements, là-bas, sur l’autre rive.
Puis, la concentration. Autre moment unique. Surtout éviter les pièges du charlatanisme ! Pratiquer la seule méthode qui marche : « la concentration par l’oubli de soi »... Celle-là passe par le regard intrépide, direct, sur le partenaire, jusqu’à le déshabiller, lui faire enfiler cet habit de lumière et de leurre, issu de sa propre composition : Dominique porte donc un turban rouge, mais Claude lui fait savoir que ce turban est vert, et Dominique « commence à s’oublier », et Dominique accepte même la proposition et prétend à son tour que son turban est vert, et que ses jambes sont « bien épilées ». Irrésistible aplomb du comédien... Aux yeux du spectateur, c’est comme si c’était vrai. Ils font semblant qu’il est vert et c’est encore plus vrai que vrai. Dominique avertit Claude : « Claude, tu as la braguette ouverte ». Trois fois. Et Claude avoue qu’il a la braguette ouverte... Déjà sur la scène, son regard effaré le laisse entendre. Au vu de cet air fauve de flagrant délit, de cet égarement qui n’a pour caution que la parole de l’autre, la braguette est évidemment ouverte ! Il faut décidément le reconnaitre, la scène exerce une véritable tyrannie sur les esprits. Loin des miroirs, loin des vitrines et de ceux qui ne sont pas avec lui sur la scène, l’acteur se met à vivre une autre vie. Dominique et Claude ont ensemble fait le voyage : pour être acteur et pour monter sur scène, il faut être monté dans le même autobus !