Amine est un danseur rencontré au détour de la plus célèbre avenue parisienne : les Champs Elysées. Tunisien débarqué à Paris il y a un an, c’est son terrain de jeu, là où il lâche ses plus belles « phases » de hip-hop.Comment ? « Tu observes, tu captes et tu te démerdes.»
Sourire timide, mains dans les poches, dégaine à la West Coast, Amine est bien dans sa peau.A 26 ans, c’est non loin de l’Arc de Triomphe qu’il enchaîne depuis cinq mois, presque tous les soirs, ses pas de danse avec son groupe, Majestic. Pour l’avenue et ses milliers de touristes, Amine est un spectacle à lui tout seul, une boule d’énergie nourrie à la sauce Brown & Jackson. Entre la danse et lui, c’est « une longue histoire » comme il dit, l’air quasi amoureux. Elle commence avec ses potes il y a quinze ans, dans la rue en Tunisie, sous l’œil des passants qui les considèrent comme « des voyous ». Mais ce n’est pas un problème pour Amine. Il se rappelle des cassettes VHS qu’il regardait « en boucle » pour apprendre ses phases de hip-hop. C’est à ce moment-là qu’il commence à devenir accro.A 15 ans, il intègre la cour des grands : une compagnie tunisienne, le Sybel Ballet Théâtre. Il ne vit plus que pour ça et met ses études entre parenthèses jusqu’à ce que ses parents sceptiques le rattrapent. Bac en poche à 18 ans, il commence une licence de cinéma et s’accroche cinq ans de plus à la compagnie. Elle va l’entrainer en Afrique du Sud, au Mozambique, au Swaziland, en Pologne, en Angleterre, en Allemagne, au Brésil… le globe-danseur a vu du pays avant de se poser définitivement dans une petite chambre de bonne sur l’avenue qui fait rêver, pour ses études. La première fois qu’il a vu Paris, c’est encore grâce à la compagnie, lors d’une représentation à la Cité Universitaire.
Aujourd’hui, il n’a qu’à descendre les escaliers et faire quelques pas de côté pour rejoindre les quatre membres de son groupe, avant de danser sur une musique funk le plus souvent. Quand on lui demande quel est son style, sa différence sur le bitume, il affiche une mine curieuse, réfléchit, et se définit « adaptable ». Si dans la rue, c’est le hip-hop qui est à l’honneur, Amine a déjà touché à la danse contemporaine, au modern jazz, et aux chorégraphies soignées du Sybel Ballet Théâtre. Alors il ne manque pas de références pour faire vibrer le pavé.
« S’il pleut pas et s’il n’y a pas la police, on fait des semaines à plus de 1000 euros »
Il y a deux ans, il quittait la compagnie pour se consacrer à ses études et pensait même arrêter la danse. Impossible : « Je n’ai pas pu. Après un mois sans m’entraîner, j’ai commencé à déprimer, je me sentais vraiment mal ». Aujourd’hui en master 1 cinéma-audiovisuel à la Sorbonne, Amine module entre la rue parce que c’est ce qu’il préfère, et les cours qu’il dispense « pour arrondir les fins de mois » (et non pas le contraire). Il a rencontré ses potes de Majestic en 2011, au rendez-vous de tous les accros de hip-hop, le Battle Of The Year (BOTY). Il faisait partie du jury, en tant que membre d’une compagnie de danse. Une fois en France, il les a croisés « par hasard » dans une salle de danse qu’ils fréquentaient pour s’entraîner. Quelques-uns sont danseurs professionnels aujourd’hui, mais comme Amine, la rue continue de les transporter… et il faut le dire, « ça paie bien ». Dans leurs chapeaux d’artistes, le public laisse « 50, 100 même 500 euros ! C’est arrivé une fois, c’était un brésilien je me rappelle » explique Amine. « S’il pleut pas et s’il n’y a pas la police, on fait des semaines à plus de 1000 euros. S’il n’y a pas la police ? Oui, car la semaine se passe rarement sans entrave. Souvent, la dernière phase de Majestic débouche sur une amende et la saisie de la sono, pour « émission de bruit qui nuit à la tranquillité et à la santé de l’homme » balance Amine, d’un ton moqueur. « Sérieux ? Comme si les gens allaient attraper le cancer ! ». Mais il est à peine agacé. Il dit même « on rachète une sono, c’est normal ». On aura compris qu’il en faut plus pour l’énerver. Comme si la danse le rendait trop heureux pour qu’il trouve encore le moyen de se plaindre. Il préfère tourner en dérision les policiers, sachant pertinemment que Majestic trouvera à nouveau sa place quelque part sur les champs le lendemain.
Le public dans la peau
De la même manière, aucun cliché du parisien aigri ne sort de la bouche de cet optimiste chronique. Les Parisiens, il ne les trouve ni froids, ni pressés. Les spectacles ont du succès, c’est tout ce qu’Amine constate : « Les gens adorent ce qu’on fait ! ». Il faut dire que Majestic met l’ambiance : « il faut faire monter la pression, donner envie aux gens de rester pour voir le spectacle ». Le show commencé, il ne se contente pas d’enchaîner trois phases et d’attendre que les chapeaux se remplissent. Avec les autres ils font participer les enfants, les filles… parce que « c’est important qu’il y ait un échange ». En début d’entretien, Amine disait qu’il voulait travailler dans la production cinématographique. A la fin, le fanfaron prend le bloc note posé sur la table, jette un « maintenant à ton tour, dis-moi tout ! », puis annonce déterminé : « je fais du cinéma parce que j’aime ça mais en fait, je veux faire carrière dans la danse ». Il semblerait bien que le danseur s’engage à embrasser le sol pour très longtemps.