- Comment avez-vous rencontré Delphine Bretesché, auteure de Béatrice de Françoise et Béatrice ?
Nous avons reçu son texte en décembre 2010 et le comité de lecture d’AMD l’a trouvé intéressant. Une séance de travail sur la pièce a été organisée, ce qui a permis à Delphine de retravailler. Je lui ai ensuite proposé de le mettre en scène. A ce moment là, certaines parties du texte ont été coupées. Elle a adhéré à mes directions de mise en scène, m’a laissé une grande liberté et nous avons travaillé en totale confiance.
- La pièce a-t-elle rencontré le succès escompté ?
Oui, nous sommes très contents, il y avait une moyenne de soixante personnes à chaque représentation. La salle, qui est assez petite, était toujours pleine. Beaucoup de professionnels du théâtre sont venus, des amateurs de théâtre contemporain, des homosexuels et des gens intrigués par ce sujet de société.
- L’humour est-il le principal atout du spectacle ?
Oui, bien sûr. Béatrice de Françoise et Béatrice est avant tout une comédie de mœurs. La mise en scène est presque cinématographique, ludique, haute en couleurs très tranchées, comme un tableau. Tout a été mis en œuvre pour donner de la fluidité à la pièce, d’où l’idée des plateaux à roulettes sur lesquels les acteurs se déplacent. Ils jouent plusieurs rôles, ce qui renforce parfois le caractère comique du spectacle. (une actrice joue par exemple à la fois une femme aguicheuse et une enfant capricieuse, ndlr).
- C’est une pièce très drôle, mais tout de même engagée sur un sujet très actuel et qui divise. Est-ce pour cette raison que vous avez travaillé sur ce projet ?
J’avais envie de m’engager dans le sens où cela m’intéresse de parler d’un sujet encore tabou qui bouscule notre société. Mais ce n’est pas un spectacle militant. L’intérêt était d’aborder sous l’angle de l’humour un sujet qui est présenté de manière sérieuse, voire grave, d’ordinaire, alors qu’on est juste face à la vie ! Mon regard est celui de quelqu’un qui essaie de comprendre la société et ses évolutions, et qui propose un spectacle comme un miroir.
- Pensez-vous qu’aujourd’hui l’homosexualité est plus répandue ou est-elle plus visible parce qu’on en parle plus ?
Je pense que notre rapport à l’amour a beaucoup évolué. Aujourd’hui il est tout-à-fait possible d’être homosexuel car la société le permet. A l’inverse je me demande comment faisaient les homosexuels au 19e siècle ! Cependant il y a encore beaucoup de résistance, l’homosexualité semble admise mais pas tant que ça… c’est encore perçu comme impertinent.
- La féministe Thérèse Clerc, militante des années 60 affirme que « l’hétérosexualité est imposée par la société ». Qu’en pensez-vous ?
On peut être poussés vers l’hétérosexualité ou l’homosexualité, les deux sont aussi naturels ! Il n’y a pas de « normalité ». Cependant, l’homme a quand même un instinct, ou un désir, de reproduction, qui peut être satisfait plus facilement dans l’hétérosexualité, donc je ne suis pas d’accord avec Thérèse Clerc sur cette formulation. L’idée d’une « obligation » sociale me semble exagérée. Que la majeure partie des gens soit hétérosexuels n’est certainement pas le fruit d’une obligation.
- Dans la pièce intervient une famille recomposée et éclatée. Les enfants de la famille ne semblent pas heureux. Est-ce un moyen de dire que les enfants des familles recomposées ne sont pas plus heureux que les enfants des homosexuels ?
On a en effet complètement intégré dans notre société l’idée de la famille recomposée. C’est devenu très courant. Pourtant ce n’est pas toujours une situation idéale. On peut dire que les familles avec des parents hétérosexuels ne sont pas parfaites, et pourtant les enfants parviennent à grandir dans toutes sortes de contextes difficiles. C’est ce qu’on voit dans la pièce. La société a accepté une situation familiale imparfaite, alors pourquoi ne pas en accepter d’autres, plus atypiques ?
- La procréation médicalement assistée pour les homosexuels est encore un sujet tabou aujourd’hui en France, ce qui est dénoncé dans la pièce car Françoise et Béatrice vont en Belgique pour y avoir recours. Interdire la PMA pour les couples homosexuels est-il discriminatoire selon vous?
La PMA est compliquée à appliquer d’un point de vue éthique. Cependant, pourquoi résout-on le problème pour les couples hétérosexuels et pas pour les autres ? Je ne vois pas pourquoi cela ne serait pas possible. Donc oui, interdire la PMA aux couples homosexuels est discriminatoire.
-Pensez-vous que le projet de loi sur le mariage et l’adoption pour les couples homosexuels peut faire évoluer les mentalités sur cette question ?
Cela peut prendre du temps. Il y a toujours une sorte d’inertie dès lors qu’il y a un changement important dans une société. Mais je pense que le pacs (pacte civile de solidarité, ndlr) a déjà fait évoluer les mentalités, et le mariage, qui devrait être bientôt autorisé, va renforcer cela. Il est important que ces évolutions soient encadrées, institutionnalisées, car cela donne une « caution » et une existence légale aux couples homosexuels du point de vue des réfractaires à leur union. Ainsi le mariage homosexuel deviendra une “normalité” qui sera acceptée par la normalité des couples hétérosexuels. Car chacun à sa propre définition de ce terme en réalité.
La suite ?
Carole Drouelle souhaite emmener Béatrice de Françoise et Béatrice au festival d’Avignon. D’ici là, le spectacle est « encore en création ». Quelques dates sont programmées pour la suite de la saison 2012-2013.
Retour sur…
Béatrice de Françoise et Béatrice :
« Parler de l’homoparentalité aujourd’hui sur scène est comme une nécessité de salut public » explique Carole Drouelle. Entre Homosexualité et parentalité, Delphine Breteshé aborde le regard des autres, à travers l’entourage du couple homosexuel, différemment bouleversé d’un individu à l’autre par la parentalité nouvelle de Françoise et Béatrice. La mise en scène sert des dialogues et situations très cocasses qui touchent une famille recomposée, le couple de copines lesbiennes (Valérie Coue-Sibril et Gatienne Engélibert), le couple homo à vélos (Michel Cochet et Alain Carnat), le couple hétéro à la voiture de sport (Michel Cochet et France Ducateau), la femme d’un handicapé, l’amant, le dépressif qui s’est fait plaqué… Les acteurs jouent plusieurs rôles : autant de vies qui sont les nôtres.
L’auteure, Delphine Bretesché :
Auteure-plasticienne, elle vit actuellement à Nantes où se trouve son atelier. L’artiste est engagée car pour elle « être plasticienne c’est être féministe ». Toutes les informations sur Delphine Bretesché sur sur son blog.
Pour plus d’informations, rendez-vous sur la page Facebook de Béatrice de Françoise et Béatrice et sur le blog de la chargée de production du spectacle : www.corinnemerle.fr