Le long voyage effectué à travers toute l’Amérique latine, à la recherche de ses peintres, et le plaisir que j’ai eu à les rencontrer, m’a donné des envies d’exotisme. J’ai donc, cette fois, traversé le pacifique pour me retrouver au « pays du soleil levant », où la tradition de la peinture est très ancrée, on peut même dire que c’est un art ancestral.
Mais avant d’arriver à la peinture et aux peintres du XXe siècle, j’ai dû prendre un petit cours d’histoire sur les différents courants stylistiques qui se côtoient, se chevauchent ou s’entremêlent dans ce pays où tradition et modernité cohabitent comme sans doute nulle part ailleurs.
Petit cours d’histoire
La peinture japonaise est un art ancien et raffiné, regroupant une grande variété de genres et de styles. Elle fut à certains moments une synthèse entre une esthétique originelle et une adaptation d’idées venues de l’extérieur. Le Yamato-e (images du Japon ancien) est considéré comme le style japonais traditionnel. Mais, à l’époque Meiji (1868-1912), avec l’ouverture du pays sur le monde, l’impact de l’art occidental sur le Japon fut immense (et inversement, d’ailleurs). En 1876, une École d’Art Technique (le Kobu Bijutsu Gakko) a même été spécialement créée afin que des conseillers étrangers embauchés par le gouvernement (tels l’artiste italien Antonio Fontanesi) apprennent aux artistes japonais (tels Asai Chū) les dernières techniques occidentales.
Seiki Kuroda sera lui aussi crucial pour le développement de la peinture de l’Ouest au Japon. C’est directement « à la source » qu’il apprend : en France où, ayant suivi son père diplomate, il découvre puis étudie la peinture à l’huile avec le peintre académique Raphaël Collin, de 1884 à 1893. À son retour au Japon, Kuroda prend la tête du département de la peinture occidentale à l’Académie des Beaux Arts à Tokyo, ce qui lui permet d’introduire les techniques picturales de l’enseignement de l’Ouest. Et sa position de fils de haut dignitaire lui permettra même de briser un tabou de taille en montrant, en 1895 à Kyoto, un tableau représentant un Nu.
Seiki Kuroda, Asai Chû, Eisaku Wada et Takeji Fujishima vont même être invités à exposer leurs œuvres lors de l’Exposition Universelle de Paris en 1900 (Kuroda y reçoit d’ailleurs la médaille d’argent pour son tryptique « Sagesse-impression-sentiment »). C’est pour eux un choc esthétique qui les marque profondément mais leur montre également tout ce qu’ils ont encore à apprendre – Asai Chû, dépité, décide même d’arrêter de peindre mais ouvre son école à Kyoto, sa ville natale, d’où sortirons deux artistes essentiels dans l’évolution et le rayonnement de l’école occidentale : Yasui Sôtarô et Umehara Ryûzaburo. C’est ainsi que, peu à peu, se crée une peinture japonaise occidentalisée, le yōga. Le mouvement est lancé.
Après la première guerre mondiale d’autres peintres japonais feront le voyage à Paris, ballotté dans le tourbillon des mouvements avant-gardistes : fauvisme, cubisme, surréalisme… Le plus connu est Tsuguharu Fujita (Léonard Foujita à partir de 1959), emblématique de l’Ecole de Paris. Mais il y eut aussi Yuzo Saeki, qui représenta les bidonvilles de Paris, Hanjirô Sakamoto et ses paysages très personnels, Zenzaburo Kojima, qui développa un style « décoratif » très proche de celui de Matisse, ou encore Taro Okamoto, qui s’émerveille à l’œuvre de Picasso, s’essaye à l’abstraction avant de rejoindre les surréalistes et finalement devenir le plus grand « muraliste » japonais. À leur retour, ils devront faire face à un problème propre aux peintres japonais : traduire l’identité japonaise au style occidental.
Face à cette invasion un mouvement « loyaliste » prit forme, tentant de défendre l’art traditionnel nippon. Cette tendance fut appelée nihonga, c’est-à-dire « image japonaise », par opposition au yōga, qui définissait l’art étranger. Chez nous, ce sont ces œuvres de style nihonga ou antérieures à la période Meiji (comme « La Grande vague de Kanagawa », peint en 1831 par Hokusai, ou les magnifiques estampes de Hiroshige) qui sont vraiment connues – grâce à des peintres européens comme Van Gogh ou Monet, qui en furent de grands collectionneurs. Du coup, quand on pense peinture japonaise, on pense naturellement « estampe » (« Ukiyo-e » en japonais). J’ai donc eu envie de voir ce que existait en dehors de ces « images d’Épinal », si j’ose dire. Aller voir du côté Yōga – même si le nihonga est resté très vivant, à travers notamment le mouvement Shin-Hanga (littéralement « Nouvelles Gravures » ou « Renouveau Pictural », florissant entre 1915 et 1942 avec Itō Shinsui et Hashiguchi Goyo entre autres) ; j’y consacrerais sans doute un article bientôt.
En route !
Me voici donc plongé jusqu’au cou dans la peinture japonaise moderne de 1900 à nos jours. Et, là encore, que de découvertes ! Et dans tous les styles ! Dans les paysages, les portraits, les nus ou les natures mortes. Dans le figuratif aussi bien que dans l’abstrait.
A propos d’abstrait, justement, connaissez-vous le « Gutai » ? Né en 1952, à l’initiative de Yoshihara Jirō, c’est un mouvement qui eut sensiblement le même impact sur l’art japonais que le « dripping » de Jackson Pollock (à partir de 1947). Dans les deux cas, c’est l’acte même de peindre qui devient un moyen d’expression. Entailler, déchirer, mettre en pièce : ce sont les méthodes des premières œuvres Gutai. Et si certaines œuvres utilisent encore un support bidimensionnel, la plupart d’entre elles échappent au cadre préétabli de la peinture ou de la sculpture, passant de « l’action painting » au « happening » (ainsi Murakami Saburo traversant une enfilade de cadres tendus de papiers), des performances reprises par exemple par les Nouveaux réalistes comme Yves Klein ou Niki de Saint-Phalle lors de ses Tirs…
Et le « Superflat », vous connaissez ? Peut-être pas, mais si je vous dis que son chantre est Takashi Murakami, l’homme qui parsème le monde de ses petites fleurs souriantes, là ça vous parle peut-être un peu plus. Pour faire simple, c’est un mouvement qui, à partir de la sous-culture manga, dénonce (tout en l’utilisant) la superficialité de la culture consumériste japonaise – une sorte de pop’art japonais. Dans le même ordre d’idée, on peut aussi parler de l’esthétique « Kawaii » (littéralement « mignon », « adorable »), qui s’adresse surtout aux jeunes, consistant notamment à créer de gentilles mascottes pour faire vendre tout et n’importe quoi.
Enfin bon, vous allez maintenant pouvoir voir tout ça par vous même…
La galerie
Voici donc le résultat de mes (longues mais passionnantes) recherches : 110 ans de peinture (moderne) japonaise, en 110 peintres et 110 tableaux. Banzaï !!!