Depuis dix ans, le cinéma de Quentin Tarantino est affaire de vengeance. Vengeance personnelle (Kill Bill 1 & 2, Death Proof) ou vengeance historique (Inglourious Basterds), la geste tarantinesque s'articule depuis 2003 autour du motif du retour de flamme. Son dernier opus n'échappe pas à cette règle décennale et s'inscrit lui aussi dans un récit où la vengeance sert de catalyseur au propos. Car le héros vengeur chez Tarantino permet toujours au metteur en scène de développer bien plus que de simples vigilante movies, en décrivant ici une déchirante histoire d'amour (Kill Bill), en livrant là un superbe réquisitoire féministe (Death Proof), ou en modifiant carrément le cours de l'histoire (Inglourious Basterds).
Avec Django Unchained, le réalisateur de Pulp Fiction s'attaque à l'esclavage à travers un nouveau récit de vengeance. Et de livrer au final une superbe réflexion sur la terrible ambivalence de la nature humaine. Car aussi bien le héros (iconique Jamie Foxx) que son bienfaiteur comparse (génial Christoph Waltz), le duo vengeur du film se distingue non pas par sa droiture inébranlable, mais au contraire par son perpétuel mouvement de balancier entre le bien et le mal. Ainsi Django, homme de bien, n'hésitera pas à laisser des chiens déchiqueter sous ses yeux un esclave noir ou à tuer un homme devant son petit garçon, pour parvenir à ses fins. De même, le personnage incarné par Waltz tutoie en permanence le mal au nom du bien. Cette constante cohabitation entre ces deux valeurs constitue le coeur même de Django Unchained, moelle épinière et finalement ontologique d'une histoire où la forme est aussi emballante que le fond.
Ainsi, les situations à mourir de rire (la scène du Ku Klux Klan entre d'emblée au panthéon des classiques) côtoient les séquences d'émotion pure (les caravanes d'esclaves, le regard de l'un d'entre eux observant Django s'éloigner dans la dernière partie du film pour aller venger tout un peuple), dans un climat de tension permanente où la violence est latente, palpable, jusqu'à exploser aux quatre coins du cadre dans un déferlement presque libératoire. A ce titre, impossible de passer sous silence la scène de fusillade à Candyland, enterrant tous les gunfights de l'histoire du cinéma, ni plus ni moins. Hallucinante de sauvagerie, de fureur et de réalisme, cette séquence permet à Tarantino de prouver qu'il n'est pas seulement un orfèvre du dialogue ciselé et décalé, mais également un formaliste de haute volée, sa caméra captant dans une chorégraphie à la précision chirurgicale une scène d'action qui restera dans les annales. Portée par des effets sonores décuplant l'arrivée d'une balle sur sa cible, magnifiée par la photographie de Robert Richardson (JFK, Casino, notamment), cette fusillade fait désormais date et restera à jamais gravée dans la mémoire des spectateurs.
Par ailleurs, Django Unchained est également un régal pour les cinéphiles qui relèveront tout au long du métrage les influences qui nourrissent le cinéma de Tarantino. Entre le savoureux caméo de Franco Nero (le Django de 1966) et les paysages enneigés faisant immanquablement penser au Grand Silence de Sergio Corbucci, le film permet à nouveau au réalisateur de Reservoir Dogs de faire montre de son talent à utiliser des références bien précises (en l'occurence le western spaghetti), pour proposer une vision totalement personnelle du genre. Relevons enfin la prestation terrifiante de Leonardo DiCaprio dans le rôle du bad guy et celle de Samuel L Jackson dans celui de son bras droit raciste, ce dernier trouvant ici sans conteste sa meilleure interpétation à ce jour.
Western, revenge movie, histoire d'amour, film d'action, road movie, réflexion existentielle, Django Unchained, c'est tout cela à la fois. Notons que tous les films de Tarantino, sans exception, se composent de deux mots. S'agit-il d'une superstition de l'auteur ? Au vu des résultats, on serait tenté de croire aux miracles.