Concorde ŕ nouveau devant les juges ... en 2014.
On pouvait espérer que ce projet d’ultime audience tomberait dans les oubliettes de la Cour d’appel de Versailles. Mais, bien entendu, il n’en sera rien, la mémoire et la patience de la justice étant infaillibles : Jacques Hérubel, ingénieur en chef du programme Concorde pendant trois ans, jusqu’en 1995, sera jugé au printemps 2014. Il est le dernier prévenu du procčs ŕ tiroirs de l’accident de juillet 2000 de l’avion supersonique d’Air France sur lequel les juges n’ont pas encore statué. Le dernier parce que Henri Perrier, ultime directeur du programme, a disparu l’année derničre.
Le double dossier Perrier-Hérubel avait été disjoint du procčs en appel et la Cour avait choisi de les entendre tous les deux début 2013, décision prise au moment oů, hélas trčs théoriquement, il était encore possible d’espérer le rétablissement d’Henri Perrier. Ce dernier a malheureusement disparu, vaincu par la maladie, qui plus est trčs marqué par le procčs et sans avoir connu la satisfaction d’une probable relaxe.
Reste donc Jacques Hérubel, et lui seul, qui s’est trouvé au mauvais endroit, au mauvais moment, et ŕ qui rien ne sera donc épargné. Le 16 octobre est prévue ce qu’il est convenu d’appeler une audience de procédure qui permettra de fixer la date de l’audience ŕ proprement parler, prévue pour le printemps 2014. Impatients et nerfs fragiles s’abstenir !
Il n’en serait pas moins malvenu d’évoquer un quelconque acharnement judiciaire. Les juges font leur travail, rien que leur travail, insensibles ŕ toute notion de lenteur, enfermés dans une bulle qui leur est propre ou, si l’on préfčre, dans une imprenable tour d’ivoire, et avec la conviction profonde de bien faire. Et, nous dit un homme de loi, avec la protection tacite d’une opinion publique fondamentalement méfiante. Un constat qu’il faut interpréter dans son sens le plus large et qui ne connaît ni exceptions, ni dérogations.
Inutile, donc, de clamer que Concorde n’entre dans aucun schéma, que les dommages causés par l’accident de Gonesse ont connu réparation, que c’est un avion du passé abrité dans les musées de l’aviation du monde entier depuis bientôt 10 ans. L’accident de l’avion d’Air France a fait 113 victimes, passagers, membres d’équipage et employés d’un petit hôtel, il y a eu enquęte du BEA, enquęte judiciaire, procčs, procčs en appel et, dans un peu moins d’un an et demi, aura lieu cet ultime développement, parce que l’appplication de la loi est la męme pour tout le monde. Tout cela est complexe, lent et seuls des professionnels de l’aéronautique peuvent y déceler un sentiment d’inutilité.
Bien sűr, la tentation est grande (nous n’y avons d’ailleurs pas résisté précédemment) de nourrir cette impression de temps perdu, d’énergie gaspillée, parce que Concorde, lancé fin 1962, arręté définitivement en 2003, appartient bel et bien ŕ l’Histoire. De ce fait, l’analyse attentive de l’accident de Gonesse et celle des responsabilités qu’il a mises en scčne, ne pourraient ętre de la moindre utilité pour les acteurs de la sécurité aérienne d’aujourd’hui.
En fait, la réalité est peut-ętre plus nuancée. Certes, aucun autre avion civil n’affiche les caractéristiques aérodynamiques trčs particuličres de Concorde, une immense aile delta de type dit gothique flamboyant, un intrados vulnérable. Et les pneumatiques radiaux se sont maintenant généralisés.
Reste le fait que le point de départ de l’accident est, dans la terminologie anglo-saxonne omniprésente, un ŤFODť, Foreign Object Dammage, c’est-ŕ-dire des dégâts causés ŕ la cellule par un objet extérieur, en l’occurrence un lourd morceau de caoutchouc. Cela ŕ la suite de la rencontre malencontreuse d’un pneumatique avec une lamelle de titane tombée quelques instant plus tôt d’un DC-10 de Continental Airlines. En d’autres termes, si ladite pičce avait été immédiatement repérée et retirée, si la piste avait été impeccablement propre, on peut supposer que l’accident n’aurait pas eu lieu. En clair, le problčme des FOD est sérieux, et il est toujours bien réel 10 ans aprčs le retrait de Concorde.
Vu sous cet angle, il reste matičre ŕ discussion. Bien sűr, les connaissances encyclopédiques d’Henri Perrier font défaut, l’homme nous manque. Mais le bon sens pourrait, peut-ętre combler partiellement cette cruelle absence sans qu’il soit nécessaire de réunir une nouvelle fois un Cour d’appel. Dura lex, sed lex.
Pierre Sparaco - AeroMorning
(Photo: Daniel Faget)