Hier soir, l’équipe du Mercredi c’est Graoully, dont moi-même (et je rappelle, car c’est toujours utile, que vous pouvez vous brosser pour que j’écrive « votre serviteur ») était au parc des Expositions pour le meeting du Front de Gauche. Habituellement, je fuis les mondanités de ce type, à moins que l’invitation ne porte les mentions « alcool à volonté » et « vous pouvez détruire le matériel audio si le DJ diffuse Indochine ou David Guetta ». Je les évite encore plus quand il s’agit de politique. Mais en l’occurrence, nous avions une émission de radio à enregistrer, et on ne saurait se défausser de nos obligations à l’égard de nos auditeurs et de nos lecteurs pour de basses raisons de misanthropie galopante. Et il faut aussi avouer que j’étais curieux de voir la « bête de scène » Mélenchon faire ce qu’il fait le mieux: haranguer le chaland et la chalande, le badaud et la badaude, le croquant et la croquante, pour faire vibrer la glande révolutionnaire qui sommeille en chaque prolétaire.
Après une heure d’émission avec le très sympathique Fabrice Weber, responsable de la com’ du PCF local, place aux festivités. La soirée est animée par Maurice Ulrich, éditorialiste à l’Humanité (j’en profite pour dire que je suis très déçu de n’avoir pas gagné l’abonnement à l’Huma mis en jeu à la tombola; je me console en me disant que je préfère l’Album de la Comtesse du Canard Enchaîné). Je promène mon regard sur le millier de militants qui attendent le début des parlottes. A en juger par les stickers que tout un chacun colle sur sa veste, le Parti Communiste et la CGT ont l’air majoritaires au sein du FDG local.
Puis finalement, les allocutions commencent. Ce sont les syndicalistes de Florange, les salarié(e)s de Virgin et de Sanofi qui prennent la parole en premier.Chacun leur tour, ils racontent comment leurs boîtes se paient leur fiole pour un peu plus de rentabilité et pour le bien-être des actionnaires. Merveille du libéralisme économique qui crée de l’argent sans rien glander, mais jamais sans conséquence pour les vrais créateurs de la richesse nationale. « Putain de bordel de merde, mais surveille-toi mon enfant, tu commences à parler comme un coco », me dis-je en moi-même. C’est qu’au fur et à mesure que les malheureux travailleurs racontaient leurs déboires, la foule scandait avec de plus en plus de force le mot « Résistance ». Je rappelle aux plus étourdis de nos lecteurs qui auraient oublié le sens de ce terme tombé en désuétude après cinq ans de sarkozysme à marche forcée que la résistance désigne l’attitude à adopter quand quelqu’un (en général un quidam perché sur une échelle imaginaire appelée « hiérarchie ») vous chie dans les bottes et vous intime d’être chaque jour un peu moins vivant car l’intérêt général l’exige. Après trois « Résistance », je commençais à trouver les gens beaux, alors qu’en général la beauté d’un groupe s’évapore aussi vite que son intelligence sous l’effet du nombre.
A ce moment de la soirée, je comprends mieux comment Bakounine a pu supporter Marx aussi longtemps. Puis Mélenchon a pris son tour. Sur la forme, rien à dire, c’est rodé comme du Motörhead, Jean-Luc renvoie Fabrice Lucchini et Philippe Torreton au rang de modestes figurants de Plus Belle La Vie. Sur le fond, c’est autre chose, et j’ai intégré vite fait pourquoi Bakounine s’est fait gicler de l’Internationale, à moins qu’il n’en fut parti de lui-même, je vérifierai et je vous tiens au jus (peut-être). Sur le fond, contrairement à Haïti ou au Darfour, il y a à boire et à manger.
Si l’on veut voir les choses du bon côté: le Front de Gauche veut redonner le pouvoir aux salariés, planifier l’économie, dompter la finance, se ranger aux côtés des ouvriers qui voudraient racheter leur boîte et en faire une coopérative, augmenter les salaires de façon significative, et maintes autres mesures de bon sens qui permettraient au moins à chacun de mener une existence digne plutôt que de n’être qu’un énième rouage de la machine. Comme souvent avec les tenants de l’ »autre gauche » (terme absurde, le PS ayant fait son deuil de la gauche il y a une paire d’année, mais je laisse les spécialiste en néologie choisir une étiquette plus adéquate), on est parfaitement d’accord sur le diagnostic.
Hélas, trois fois hélas, on ne s’accordera décidément jamais sur le remède. Comme tous les membres de la gauche productiviste, Mélenchon n’a que le travail et l’économie à la bouche. Marx not dead. Il a prononcé six fois « production » ou « productif » dans sa courte allocution, il a invité les grands patrons à se défier du « ressentiment » du prolétaire bafoué. Il nous a refait le coup de l’écosocialisme, mais concilier l’écologie et le productivisme est quand même une gageure, voire une arnaque proche de celle du développement durable. A titre personnel, ce n’est pas l’idée que je me fais d’une gauche créative, fédéraliste et libertaire. Pendant l’émission, j’ai demandé à Fabrice Weber pourquoi Mélenchon invoquait souvent la Révolution Française, et pratiquement jamais la Commune et Mai 68. Fabrice n’avait pas la réponse, finalement c’est Mélenchon lui-même qui m’a donné la réponse dans son discours. Du coup, je me demande si sans la crise, le Front de Gauche aurait connu un tel succès.
Après Méluche, c’est Myriam Martin, leader de la Gauche Anticapitaliste, qui s’est installée à la tribune. Ses poncifs sur le climat lorrain et son charisme proche de celui de Marie-George Buffet sous anxyolitiques (à sa décharge, il doit être extrêmement difficile de passer à la tribune après le showman Mélenchon) auront tôt fait de faire maigrir l’assistance de moitié. Les Graoulliens itou. Camarades du Front de Gauche, on partage les mêmes combats et on se retrouvera sûrement dans les manifs, mais ce n’est pas encore cette année que je m’encarterai.
Avant de partir, on revoit Fabrice Weber et sa collègue (à qui je présente mes plus plates excuses pour avoir oublié son prénom). On apprend qu’on peut mettre jusqu’à trois jours pour se remettre d’une fête de l’Huma bien arrosée. Voilà la gauche comme je l’aime.
Sur ce, je vais chercher une nouvelle phrase de conclusion pour le Mercredi c’est Graoully. La gauche créative, que je vous dis.
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