C’est un thčme de réflexion inépuisable, complexe, délicat, constamment mais vainement en quęte d’apaisement : les relations aéronautiques entre la France et l’Allemagne posent encore et toujours problčme. Męme s’il est implicitement préférable de ne pas trop en parler et, quand c’est inévitable, de le faire ŕ mots couverts, avec d’infinies précautions oratoires.
C’est pourtant, aujourd’hui, le bon moment d’y revenir, alors que Paris et Berlin fętent le cinquantičme anniversaire du Traité de l’Elysée. Tandis que le groupe EADS cherche plus que jamais ŕ résister aux influences politiques. Passerelle forte et prometteuse entre les deux pays, sans oublier sa prolongation espagnole et anglaise, EADS prépare ces jours-ci une refonte de son conseil d’administration, le président exécutif de la société, l’Allemand Tom Enders, déployant des efforts méritoires pour réunir les conditions de fonctionnement d’une entreprise Ťnormaleť. Ce qui n’est pas une mince affaire.
Les dîners en ville, ces temps-ci, sont ŕ précisément animés par des propos contrastés consacrés ŕ l’échec du projet de fusion EADS/BAE Systems, ratage ŕ l’image d’un différend larvé entre les deux principales parties. Pourquoi ce retour ŕ un incident passé ? Tout simplement parce que le grand hebdomadaire américain Aviation Week a choisi de distinguer Angela Merkel comme personnalité de l’année ! Un choix a contrario, si l’on peut dire, une maničre habile de souligner l’importance et les conséquences néfastes d’un veto qui, ŕ New York, a conduit nos confrčres ŕ qualifier la chanceličre de ŤFrau Neinť. Un coup de tonnerre révélateur dont on n’a sans doute pas fini de parler.
Cette opposition allemande, trčs brutale, a rappelé si besoin est que le groupe EADS vit sous haute surveillance politique. Pire, les Allemands ne lui pardonnent rien, investis d’une mission autoproclamée de haute surveillance, de défense de leurs intéręts faite de revendications sans cesse renouvelées, mais ŕ doses homéopathiques, cela pour éviter un risque pourtant hypothétique de dilution de l’influence germanique au sein du groupe. Un danger illusoire que symbolisait ŕ tort la reprise de BAE Systems, source d’un ratage historique. Un jour ou l’autre, sans doute le groupe britannique se forgera-t-il un nouvel avenir outre-Atlantique et les Européens n’auront alors que les yeux pour pleurer. Un comble au moment oů c’est un citoyen allemand qui tient fermement les ręnes d’EADS. Mais Tom Enders a le double défaut, si l’on ose dire, d’ętre citoyen du monde et, dit-on parfois outre-Rhin, Ťtrop peu allemandť.
Tom Enders, en quęte de normalité, est finalement ressorti renforcé de cette épreuve inattendue et malvenue. Il cherche actuellement ŕ façonner un conseil d’administration renouvelé qui devrait ętre présidé par une personnalité irréprochable, appelée ŕ succéder ŕ l’ineffable Arnaud Lagardčre qui a le bon goűt de s’effacer. Ce sera aussi la fin des quotas nationaux d’un autre âge.
Dans le cadre du Ťcoupleť franco-allemand, la responsabilité du groupe EADS n’en restera pas moins considérable, réussite exemplaire obtenue grâce ŕ Airbus, certes, mais aussi ŕ travers ses programmes militaires et spatiaux.
Restent les tentatives berlinoises, hambourgeoises sans cesse recommencées, non dites, ou ŕ peine, de déstabilisation. EADS est un groupe européen, certes, mais son arbre généalogique rappelle ŕ qui veut bien l’admettre qu’il doit énormément ŕ la France, aux initiatives françaises entre autres ŕ l’origine de l’Airbus A300B, en 1979, plus tard d’Ariane, lanceur de souveraineté européenne en matičre d’accčs ŕ l’espace.
ŤFrau Neinť, de toute évidence mal entourée, mal conseillée, a commis une erreur et il ne faudrait pas qu’une telle bévue risque un jour de se reproduire. EADS n’a jamais eu la moindre intention de marginaliser ou d’affaiblir sa composante allemande, les jalousies injustifiées et mal contenues sont pour le moins déplacées, voire ridicules, et des prétentions nouvelles hors de propos,par exemple en marge du futur successeur de l’A320. Lequel ne sera évidemment pas plus ou moins moins allemand ou français que le programme actuel mais fondamentalement européen. Męme, ce qui est plausible, s’il est assemblé ŕ Hambourg avec, sans doute, des extensions en Chine et aux Etats-Unis.
Reste ŕ espérer que le groupe EADS ne soit pas rebaptisé Airbus, une fausse bonne idée qui vient de revenir un grand galop sur le devant de la scčne, qui tient de la faute de goűt et de l’erreur d’image. EADS, certes, est un sigle hermétique, abscons, mais solidement installé dans le monde. Et neutre ŕ souhait, aussi difficilement prononçable en français qu’en allemand. Et, de ce fait, parfait !
Pierre Sparaco - AeroMorning