Ce moment particulier où…

Publié le 24 janvier 2013 par Lecridupeuple @cridupeuple

Ce moment particulier où, en écrivant mon édito hebdomadaire pour Médiavox, je me sens partir. Les nerfs qui se tendent, la gorge qui se noue, les yeux qui piquent, la colère… Comme submergé par l’émotion. Quelques dizaines de minutes plus tôt, j’avais appuyé sur la touche « publier » après avoir rédigé le portrait de Sylvain, ouvrier chez Renault, 26 ans d’ancienneté. Parce que quand j’écris sur des sujets sociaux, j’ai des visages qui défilent devant mes yeux, des visages d’amis ou d’inconnus, des faces fières mais inquiètes.

Ce moment particulier où je me dis, paraphrasant mon amie parmi les plus chères, Riva, « je ne dois pas faire de la politique, moi je vois surtout l’aspect humain ». Au-delà de l’effet de tribune, j’ai déjà eu l’occasion de vous le dire, je ne me suis engagé en politique qu’en réaction à un état des choses que je juge injuste, inacceptable, ignoble. La politique ne peut donc m’apporter aucune satisfaction sur le fond, ses effets concrets sur la vie des gens sont trop violents pour le négatif ; trop loin pour le positif.

Ce moment particulier où je me rends compte que sur les quelque cent adhérents que compte le Parti de gauche à Montreuil, nous étions deux (2 !) le jeudi 17 janvier à la marche pour l’emploi et l’industrie en Seine-Saint-Denis. Mais pour dégoiser n’importe quelle connerie sur les cercles « qui n’ont pour but que de rassembler des gens qui s’entendent bien », là, ils sont vingt (20 !). Comment vous dire calmement que je ne me sens pas à ma place dans cette réunion et que j’ai envie de vous coller affectueusement des claques mes chers camarades ? Au sens figuré évidemment. Vous me faites penser à d’autres camarades d’autres formations du Front de Gauche qui préfèrent se focaliser sur la forme plutôt que sur l’action. Après, je comprends : les luttes sociales, 15 000 licenciements en Seine-Saint-Denis dans les six mois à venir, ce n’est pas motivant. C’est même du genre déprimant. Mais c’est là où moi j’ai décidé d’être. Je croyais benoîtement que c’est là où nous devons être.

Ce moment particulier où, au détour d’une conversation anodine, j’apprends que tel militant d’une organisation « amie » me vomit dessus par derrière mais quand même en public. Le type, je l’ai croisé deux fois en réunions unitaires, puisque c’est ma tâche au Parti de gauche Montreuil. Ce « camarade » donc, formé dans les groupuscules d’extrême-gauche financés par la rue de Solférino, ne me connaît pas et se permet de dire que j’ai les dents longues. Nuance, jeune ! Je défends la ligne politique de mon parti et mets en œuvre le mandat que m’ont confié mes camarades. Ca doit t’échapper ce genre de considération.

Ce moment particulier où je ne me sens plus à ma place. Politiquement.

Ce moment particulier où je me dis que je devrais rentrer chez moi. Politiquement. Parce que je ne peux pas rester chez moi, à la maison, à regarder la file des chercheurs d’emploi qui s’allonge chaque jour, à voir l’arrogance d’un patronat dopé par les renoncements du parti dit « sérieux », à dresser la liste des victimes de la guerre de classe.

Ce moment particulier où l’émotion, la rage, le dégoût me submergent et que défilent devant mes yeux des images terrifiantes d’un monde à feu et à sang, celui dans lequel, vautrés devant nos écrans, nous vivons.

Ce moment particulier où je croise un frère et que je me rappelle que notre devoir est de rassembler ce qui est épars. Me revient en tête le devoir du militant.

Ce moment particulier où j’évite de craquer parce que je croise le regard bienveillant et amical de Florent, de Sydné, de Riva ; parce que je pense à mon ami Franck qui n’a pu être là mais que je sens à mes côtés. Ce moment particulier où j’évite de craquer parce que Pascal de PSA et Sylvain de Renault ont besoin de moi et d’autres comme moi. Ce moment particulier où j’évite de craquer parce que je sais qu’el hermanito José ressent et fait exactement la même chose que moi à Massy ou à Aix-en-Provence.

Ce moment particulier où je me rappelle ce que j’ai écrit et que je tiendrai ma ligne, qu’importe la malhonnêteté intellectuelle des petits.

Ce moment particulier où toi, ami lecteur, tu lis ces quelques phrases et tu en tires les conclusions que tu veux, qui ne sont valables que pour toi. Moi, j’ai vomi ce que j’avais à dire, une fois de plus. Maintenant, je repars sur la ligne de front. Pas calmé, mais moins à vif. Peut-être. A 13 heures, j’ai rendez-vous avec mon ami communiste Antoine pour bosser sur les questions de sécurité pour tous.

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Bonus vidéo : Tricky « Black Steel (Been Caught Steeling Mix) »