Magazine Société

« La maison des anges » : essai façon polar ou thriller à 2 balles ?

Publié le 24 janvier 2013 par Asse @ass69014555

Pascal-Bruckner-grasset_la-maison-des-anges.jpg

Sur la table des nouveautés de mon libraire favori, la 4e de couverture de La maison des anges m’interroge… Il s'agirait d'un « polar du bitume » signé Pascal Bruckner, qui met en scène un agent immobilier désireux de supprimer les SDF de la capitale àù ils font tache...
A priori je ne suis pas cliente. Mais le thème me dérange assez longtemps pour que je fouine sur la toile.

Je ne sais pas grand chose de l'auteur, à part qu’il est philosophe et militant d’Action contre la faim. 

Wikipedia m’apprend que Pascal Bruckner a aussi été signataire de l'appel de soutien au plan de paix prévoyant la création d'un État palestinien aux côtés d'Israël ; candidat aux élections européennes de 1994 sur la liste L'Europe commence à Sarajevo ; qu’il a milité pour l’intervention de l’Otan contre les forces serbes et s’est montré favorable à la destitution de Saddam Hussein, à la guerre en Irak…

Ce livre serait-il moins racoleur qu'il n'y parait ? L'entretien accordé par l'auteur à Bernard Quiriny m'a remis sur le chemin du libraire.

Si vous l'avez déjà lu, n'hésitez pas à venir donner votre avis en publiant un commentaire !

*Bernard Quiriny - Le 04/01/2013 Evene/Le Figaroscope

Paris, ses immeubles haussmanniens, ses boutiques de luxe, ses vitrines scintillantes. Mais aussi ses clochards, ses paumés sous ou sur leurs cartons, ses éclopés qui empestent la crasse et le vomi, « les barjots, les foutraques, les culs-de-jatte, toute la lie de la capitale »…

Il y a deux Paris, explique Pascal Bruckner dans son nouveau roman : la partie émergée pour les touristes, et la partie immergée pleine de misère et de vermine. C’est ce que découvre le héros, Antonin Dampierre, jeune agent immobilier plein d’allure : alors qu’il montre un somptueux appartement à un couple fortuné, une loque humaine vient vomir son vin à leurs pieds, compromettant la transaction.

Écœuré, Antonin se met en tête d’éliminer tous les clochards de la ville, où ils n’ont selon lui plus leur place. « Leur simple présence était un affront au progrès, à la médecine »… Las ! On ne s’improvise pas tueur en série si facilement. Pour se rapprocher de ses cibles, Antonin prend contact avec la Maison des anges, institution d’assistance créée par Isolde de Hauteluce, pasionaria de l’action humanitaire…

Bruckner aborde dans cette comédie satirique un thème finalement rare en littérature : les clochards (leurs mœurs, leurs modes de survie, leurs lieux) et surtout la façon dont la société compose avec eux, entre gêne et souci charitable, bonne conscience et culpabilité. C’est aussi une réflexion sur l’indigne et l’ignoble, au sens étymologique, et le contraste inouï entre la vie « civilisée » et les bas-fonds. La clochardise est-elle le revers fatal de notre société hygiéniste ? Y a-t-il un loup derrière les discours humanitaires ?

Réponses avec l’auteur.  

Comment l’envie vous est-elle venue d’écrire sur les clochards à Paris, 25 ans après votre roman Parias ?


Ce qui me frappe à Paris depuis une dizaine d’années, c’est que la situation de misère vue en Inde dans les années 1980 est arrivée jusque dans nos rues. Hier, le tiers-monde, c’était ailleurs. Le voici à nos portes, sous la forme d’hommes et de femmes venus de partout et qui opposent leur dénuement à notre prospérité. Comme si on avait transféré le monde indien chez nous et que l’exotisme du mendiant s’était réduit à la familiarité du clochard tendant la main devant une supérette.

La clochardisation à Paris est-elle la contrepartie fatale de l’élévation délirante du coût de la vie, et du fait que les capitales sont aujourd’hui des ghettos pour CSP + ?

La clochardisation a des causes multiples, la principale étant la paupérisation générale de la société française consécutive à la crise, à l’augmentation du chômage. Le renchérissement du coût de la vie à Paris chasse le peuple, les ouvriers, les artisans loin du centre mais attire tous les miséreux qui viennent faire la manche auprès des favorisés. Paris aujourd’hui, c’est le face à face du bobo et du damné des trottoirs.

C’est un roman sur Paris, mais « l’autre Paris », « une ville pouilleuse, loin de la capitale poudrée, ripolinée qu’on vend aux touristes ». Est-ce ce Paris-là que vous voyez quand vous regardez autour de vous ? 

Il y a deux manières de voir Paris : selon qu’on regarde en haut ou en bas, on ne voit pas les mêmes choses. D’un côté les monuments, les vitrines, les flèches des églises, de l’autre les êtres allongés a même le sol sur les cartons, à côté de leurs détritus. Dès lors le regard n’enregistre plus ces êtres couchés sur le sol. 

Votre héros cartographie les tribus de la clochardise comme s’il décrivait un milieu social quelconque. Parler de la misère d’un œil froid a-t-il posé une difficulté pendant l’écriture ?


Il fallait éviter en effet un certain nombre de risques : la sociologie abstraite, les visions trop subjectives. Antonin mène une enquête à la manière d’un détective privé.

On entend souvent que la destruction des liens sous l’effet du capitalisme rend plus rapide qu’autrefois la chute dans la grande précarité. Qu’en pensez-vous ? 

Cela n’est pas faux. La plupart des SDF hommes tombent dans l’extrême précarité à la suite d’un divorce lui-même consécutif au chômage. Mais ce mouvement de distorsion des liens familiaux ou conjugaux est vieux de trois siècles au moins, c’est la désintégration des communautés d’Ancien Régime déjà signalée et célébrée par Marx . Nous sommes plus seuls parce que nous sommes plus libres.

Y a-t-il pour l’écrivain une sorte de « plaisir » littéraire à décrire comme vous le faites la crasse, la puanteur, la vermine, l’abjection ?


Probablement oui. Il y a la volonté de varier à l’infini les angles de description du repoussant, du sale. C’est une manière de prendre de la distance avec ce qui nous rebute, de s’en affranchir.

Vous êtes-vous documenté sur les SDF à Paris pour écrire ? 

J’ai enquêté sur le monde des « clochards » il y a longtemps, pour des hebdomadaires, et j’ai recommencé pour écrire ce livre, passant de longues journées avec des sans-abri sur les quais, dans les gares, à parler. J’ai également participé à des maraudes et passé du temps avec des responsables de structures d’hébergement.

Vous semblez prendre un plaisir ironique à décrire le monde des humanitaires, avec la concurrence entre associations et les jalousies entre figures charismatiques…


Le monde des humanitaires, que je connais bien, est traversé de figures admirables et d’individus aux motivations plus troubles qui viennent se repaître du malheur d’autrui. Qu’il y ait une concurrence farouche entre associations est un fait perceptible surtout par les donateurs, et cet éparpillement des organisations est parfois préjudiciable à l’efficacité de leur intervention.

Vous épinglez aussi l’indignation sélective de certains people engagés, prêts à tout quand il s’agit de combats lointains mais rétifs à « poser avec un clodo bien de chez nous et qui pue »… 


Oui, le clodo puant et éructant n’offre qu’un bénéfice symbolique maigre à une actrice en mal de charité. Un beau cliché en Afrique aux côtés d’enfants au ventre gonflé est un retour sur investissement garanti. Il nous faut l’exotisme de la misère pour l’embellir : quand elle revient chez nous, elle cesse d’être un spectacle en technicolor.

Antonin définit une « loi parisienne de la dégradation illimitée des êtres : qui que vous soyez dans cette agglomération, il y a toujours plus vil, plus dégoûtant ». Est-ce un phénomène parisien, ou plus général ?


Ce qui fascine et horrifie chez certains mendiants, c’est l’état d’abaissement, voire d’ignominie dans lequel ils peuvent sombrer. Certains cas affectent même les travailleurs sociaux, qui en voient pourtant beaucoup. Cette capacité d’atteindre une sorte d’extrême dans la destruction de soi est en effet le propre de l’homme. L’abîme fascine comme un absolu à l’envers.

« Ce n’est pas l’indigent qui a besoin du bienfaiteur, c’est le contraire », dit finalement Isolde, découragée…


C’est la grande question de la charité : aidons-nous les démunis pour leur rendre une certaine autonomie d’action ou par amour de la pauvreté, de la faiblesse ? On aime souvent chez les déshérités le besoin qu’ils ont de nous, comme nous cultivons la dépendance des enfants pour les maintenir sous notre coupe. Idéalement, le but de l’assistance, c’est de se supprimer elle-même. Elle devrait viser à sa propre extinction. Les gens les plus admirables que j’ai pu rencontrer sont à la fois dévoués et directs : ils traitent les SDF d’égal à égal, sans condescendance ni apitoiement suspect.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Asse 15027 partages Voir son profil
Voir son blog