Ce que recherchent les consommateurs quand ils se rendent en magasin, sur Internet ou traditionnel ? Du lien, et de la reconnaissance. Entretien avec le fondateur du Sociolab.
L'Atelier a rencontré Abdu Gnaba, docteur en anthropologie et fondateur de l'institut d'études Sociolab. Il participera au Théma de L'Atelier du 24 janvier, sur "L'avenir du magasin : la fin du magasin ?".
L'Atelier : La praticité, la rapidité, la flexibilité de l'achat sont souvent indiquées comme les raisons expliquant l'engouement pour l'achat sur Internet. Etes vous d'accord avec ce constat ?
Abdu Gnaba : En fait, un achat n'est pas uniquement motivé par des considérations pratiques, il satisfait des besoins sociaux. On n'achète pas un produit pour sa fonctionnalité mais pour le caractère d'appartenance qu'il donne, son caractère prestigieux. Le contexte est important : on ne va pas sur un site web ou dans un magasin, si l'on sait que l'on est le seul à y aller. Cela correspond à notre nature : si vous êtes seul à choisir, cela ne donne pas envie de "cueillir" le fruit sur l'arbre. Dans tout achat, il ne faut pas oublier le rôle clé de la communauté. On se situe toujours par rapport à elle, que ce soit pour être à l'intérieur ou en marge de celle-ci. On ne va chercher un objet que s'il fait sens, pour soi et pour les autres. C'est-à-dire soit cueillir avec les autres, soit cueillir le fruit que les autres n'ont pas eu.
Autant d'exigences auxquelles auraient manqué les enseignes physiques ?
Il faut en effet se demander pourquoi les gens vont moins en magasin. Dans l'absolu, nous ne sommes pas dans un rapport dual, mais les magasins n'étaient plus adaptés. Internet est arrivé comme une alternative, à la fois anonyme et fonctionnelle. Les sites ont réhumanisé l'achat, donné aux consommateurs un sentiment d'exclusivité par rapport à la marque. En vous remerciant de votre achat, en vous proposant de vous créer un compte, le magasin sur le web s'est mis à parler à l'individu plus que le magasin physique.
Bousculant, voire révolutionnant les modes de consommation ?
Non, et il n'y a d'ailleurs pas de différence de nature mais de degré entre le magasin physique et celui sur le web. Pour moi, nous ne sommes pas en train d'assister à une révolution, mais à une évolution, qui nécessite une adaptabilité. L'humain est par nature en constante adaptation. Ce qui se passe aujourd'hui, c'est en fait une accélération.
Il ne faut donc pas penser aux interfaces physiques et web comme à deux entités en confrontation...
Contrairement à ce que l'on peut penser, les magasins physiques et le e-commerce ne constituent pas une alternative. Ils sont complémentaires car ils ne répondent pas aux mêmes besoins sociaux. En fait, il faut garder en tête l'image de la place du village. C'est en effet le seul endroit qui vous appartient, à vous et aux autres, et où vous êtes reconnu alors que vous êtes dehors. Un magasin doit représenter cela, qu'il soit virtuel ou réel. Ce qu'il faut changer, ce n'est pas l'emballage, mais la recette de la baguette ! Tout est une question de dialogue, et de lien.
Donc pas de remise en cause du magasin physique selon vous !
La praticité de l'e-commerce n'est en effet plus à démontrer. Mais le lien social proposé par les magasins physiques assurera leur pérennité. Certes Internet permet d'entretenir un certain degré de lien, mais il risque de devenir fictif, d'entraîner le sujet dans un monde imaginaire, où il est seul avec lui-même. C'est terrifiant ! Les magasins physiques doivent perdurer, et pour cela ils doivent s'adapter. Il s'agit d'apporter mieux ce qu'ils apportent déjà, d'affirmer leur spécificité : la relation humaine. Il faut montrer à la personne que, où qu'elle soit, on sera là pour elle.
Enfin, au-delà la relation humaine, le magasin nous permet de sortir de chez nous. Cet acte est fondamental en ce qu'il nous permet de nous confronter à la réalité, la réalité des autres, la réalité des produits (non réduits à des images)...