Une fois de plus, les relations entre personnels navigants et autorités de tutelle européennes s’enveniment. Cette fois-ci, le différend porte sur les temps de repos revus et corrigés par l’EASA, Agence européenne de la sécurité aérienne, dossier que vient de réceptionner la Commission européenne. Un rčglement datant de 2006, qui comportait des Ťtrous noirsť a été revu, au terme des nouvelles études scientifiques, mais le résultat en est violemment contesté par les premiers intéressés. D’oů une journée d’action menée dans les principaux aéroports, dans l’intention de faire connaître aux voyageurs des lacunes réglementaires supposées dangereuses.
Le projet de réglementation revue et corrigée a fait l’objet de milliers de commentaires, 50.000 affirme le SNPL, mais il n’en aurait pas été tenu compte. Ou pas suffisamment. La réforme n’est pas encore entrée en vigueur, elle aborde actuellement un circuit politique qui conduira ŕ son approbation, ou ŕ son rejet, par le parlement européen. ŤLa fatigue tue, c’est une menace pour la sécurité des vols, affirment en choeur Yves Deshayes, président du SNPL, et Sophie Gorins, secrétaire générale adjointe du SNPNC-FO.
Que disent-ils, eux et leurs collčgues étrangers ? Que les navigants n’ont pas été suffisamment écoutés, que l’EASA, agence purement technique, s’est aventurée sur le terrain social et, ce faisant, a outrepassé son mandat, est allée au-delŕ de ses prérogatives. Un différend difficile ŕ expliquer et ŕ faire passer ŕ l’opinion publique, tant il est spécialisé. Reste que le simple bon sens peut aider ŕ comprendre ce coup de mauvaise humeur, sinon ŕ la justifier.
Certains compagnies aériennes sont plus rigoureuses que d’autres, ne conduisent pas sciemment leurs personnels aux extręmes limites de l’épure. Mais les navigants tiennent ŕ prévenir, ŕ éviter les excčs, par exemple quant ŕ l’amplitude des prestations, fussent-elles exceptionnelles, jusqu’ŕ 22 heures d’éveil, y compris de nuit, en allant aux cas les plus durs, disent les syndicats. Ou encore les réserves ŕ domicile 24 heures sur 24, sans possibilité de planifier des repos suffisants, ajoutent-ils.
Au-delŕ, les voix syndicales s’élčvent aussi pour dénoncer un risque plus général : que les compagnies Ťau plancherť, pour reprendre l’expression d’Yves Deshayes, ne tirent les autres vers le bas. Ce qui conduit au minimum ŕ s’étonner d’un tel manque de dialogue et de solides incompréhensions, qui auraient sans doute pu ętre évités.
Les personnels navigants, et plus particuličrement les pilotes qui exercent sur long-courrier, expriment réguličrement –et de longue date- leurs préoccupations. Lesquelles ont été réaffirmées par l’ECA, European Cockpit Association, qui regroupe les principaux syndicats de pilotes de huit pays européens. Quatre pilotes sur cinq, affirme l’ECA, ont ŕ lutter ŕ un moment ou ŕ un autre contre la fatigue, il leur arrive de faire involontairement des micro-siestes ou męme de s’endormir aux commandes.
En France, l’enquęte de l’ECA, menée auprčs de 800 pilotes, n’est gučre rassurante : 90% d’entre eux se déclarent ŕ un moment ou ŕ un autre fatigués, voire épuisés, ont les paupičres lourdes ou travaillent Ťŕ bas régimeť. Est-ce forcer le trait ? On aimerait que cette situation soit éclaircie, le travail de nuit et la traversée incessante de fuseaux horaires étant souvent le lot quotidien des équipages long-courriers.
Reste le fait, en y regardant de prčs, que la situation est plus confuse qu’il n’y paraît ŕ premičre vue : c’est en effet une véritable polémique qui est en train de prendre corps. L’EASA n’est évidemment pas indifférente ŕ cette levée de boucliers syndicale mais exprime un profond désaccord avec Ťune campagne de désinformation ŕ travers l’Europe menée par l’ECA.
Patrick Goudou, directeur général de l’agence européenne estime que Ťce n’est pas une attitude responsable que jouer avec les craintes des passagersť en męme temps qu’il affirme qu’il est hors de question de procéder ŕ de quelconques compromis en matičre de sécurité. Plusieurs données chiffrées de l’ECA sont contestées, comme l’amplitude extręme de 22 heures Ťqui n’est pas une optionť.
Trois groupements de compagnies ont par ailleurs contesté les dires de l’ECA, l’AEA, l’ERA (compagnies régionales) et l’IACA (charters). Dans un communiqué conjoint, ils estiment que les nouvelles rčgles qui sont proposées harmonisent les maničres de procéder européennes et incluent męme de nouvelles clauses restrictives.
Le moins que l’on puisse dire est que de ces passes d’armes font désordre et risquent fort d’inquiéter une opinion publique qui n’apprécie gučre que de telles contradictions soient mises sur la place publique. Ainsi va le monde de la sécurité aérienne.
Pierre Sparaco - AeroMorning