Qui ne connait pas Madame Andrée Putman, designeuse et architecte d’intérieur, qui a su depuis les années 70 imposer avec élégance et raffinement un style intemporel, à commencer par le motif qui la caractérise tant, celui du damier noir et blanc ? Cette grande dame, au sens propre comme au sens figuré, s’en est allée samedi 19 janvier dernier, à l’âge de 87 ans, elle qui a abandonné son destin de pianiste virtuose au Conservatoire de Paris (le métier de sa mère également) pour embrasser une carrière d’architecte d’intérieur et de designer, certes à un âge où d’autres n’aurait jamais osé, après avoir été journaliste, styliste, et baigné dans l’art et la mode.
Portrait d’Andrée Putman par Jean-Baptiste Mondino
Andrée Putman aura eu une carrière internationale sans fausses notes, rythmée par des projets à travers le monde, orchestrant des décors dans un style mêlant rigueur, sobriété, lignes graphiques, mais aussi frivolité. Car derrière son allure de bourgeoise excentrique se cache une femme de caractère et éprise de liberté. Dans les années 40, elle passe du piano à des petits boulots, puis collabore en tant que journaliste et styliste pour les magazines “Elle” et “l’Oeil”, un magazine d’art.
Grande amatrice d’art, Andrée Aynard côtoie les plus célèbres de son époque (Pierre Alechinsky, César, Juliette Greco, Giacometti, Niki de Saint Phalle…) en se mariant avec l’éditeur et critique d’art Jacques Putman à la fin des années 50, en 1958. La même année, sa carrière prend un tournant : elle devient la directrice artistique maison des magasins Prisunic, et revendique un design démocratique, mais aussi l’art pour tous : elle ira jusqu’à proposer des lithographies à tirage limité pour 100 francs seulement (15 €). Pour elle “la beauté n’a rien à voir avec le prix des choses”.
Dans les années 70, elle travaille dans la mode et la création textile. Elle révèlera les talents des plus grands d’aujourd’hui tels que Jean-Charles de Castelbaljac ou Thierry Mugler. A la fin des années 70, elle a alors 53 ans… mais se lance dans une nouvelle aventure. Elle créée la société Ecart, et son amour pour l’époque Art Deco la pousse à rééditer le mobilier, les luminaires et les objets des designers des années 20 et 30, alors tombés dans l’oubli : René Herbst, Jean-Michel Frank, Charraud, Robert Mallet-Stevens, Antoni Gaudí, Eileen Gray… C’est le succès, et Putman de relancer un intérêt international pour le mouvement moderniste français. Elle créera également quelques pièces de mobilier pour Ecart.
Les années 80 marqueront à tout jamais sa carrière, car elle devient à son tour artiste et créatrice en se lançant dans l’architecture d’intérieur. Pour le projet d’un hôtel de luxe à New York, elle réussi transformer la contrainte forte d’un petit budget en une force et signe un hotel monochrome dans des tons allant du noir au blanc en passant par le gris, et des salles de bain devenues mythique, avec du carrelage (pas cher !) en damier noir et blanc et des robinets chromés. Un minimalisme contemporain qui fera de l’hôtel Morgans l’un des premiers “boutique-hotel”, ces petits hôtels design et à la personnalité… Un design qui contraste avec la vie d’Andrée Putman, les soirées de Paris à New York, du Palace au Studio 54 où elle croisera notamment Warhol.
Un bureau noir laqué et brillant, et un damier noir et blanc panneau intérieur des pieds, signature de Madame Putman
A partir de cet époque, elle sera demandé dans le monde entier pour réaliser des restaurants, des bureaux, des boutiques (pour Azzedine Alaïa, Yves Saint-Laurent aux USA entre 1980 et 1984, Balenciaga, Bally, Lagerfeld entre 1980 et 1985, Mugler en 1978…), des hôtels (le Sheraton à l’Aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, l’lm Wasserturm à Cologne en Allemagne, ou encore l’hôtel The Putman à Honk-Kong en 2007), des projets pour des particuliers, et autres design de produits pour des marques telles que Christofle (une collection d’art de la table et de bijoux), Veuve Cliquot (seau à champagne), Louis Vuitton…
En 1990, elle a notamment aménagé le CAPC (musée d’Art contemporain de Bordeaux) dans les entrepôts Lainé, redessinant cet espace industriel pour le transformer en un lieu d’art. Putman fut d’ailleurs l’une des premières dans les années 80 à vivre dans un loft, à Paris, alors même que ce style d’habitation émerge à New York, « la ville la plus vibrante du monde. C’est le point de départ de beaucoup de choses, y compris pour moi » dira-t-elle. En 1997, elle fonde le Studio Putman, et à partir de 2007, sa fille, Oliva, en devient le directeur artistique.
Andrée Putman a été l’ambassadrice de l’art de vivre à la française. Son style c’est une attention portée à la lumière, un sens précis de la géométrie et un souci du matériau juste, des espaces dégagés, épurés et un volume sobre, des illusions d’optiques aussi. Un style chic, redéfinissant la notion du luxe, beaucoup de noir et blanc, de teintes en camaïeu de beige et de gris, et un mélange de matières et matériaux nobles comme le cachemire et le cuir avec des matériaux plus basiques, industriels. Dans les années 2000, son style évolue, Putman commence à utiliser la couleur, et les courbes dans son travail…
Les 10 projets importants d’Andrée Putman : voir le diaporama
Le design d’Andrée Putman des années 70 à nos jours :
Canapé “Crescent Moon” de sa collection Préparation meublée - 2003
Un intérieur avec le mobilier d’Andrée Putman
Andrée Putman a dessiné une collection de cinq meubles pour l’atelier anglais d’ébénisterie Litton Furniture baptisée Clin d’Oeil :
La chaise My Tailor is rich
Fauteuil
Table à manger Pique-Assiette
Tables Trompe l’Oeil, reprenant le célèbre motif à fond Art Déco
Table basse aux lignes géométriques
Boutique pour le créateur Azzedine Alaïa, avec à droite, la chaise réédité par Ecart (et donc Andrée Putman) designée par Robert Mallet-Stevens en 1928.
Boutique pour Balenciaga
Chaise “Morgans” pour la marque américaine EMECO, 2009. Cette chaise a été conçu pour l’hôtel Morgans à New York lors de sa rénovation en 2008, qui a également été réalisé par Putman, 25 ans après l’ouverture de l’hôtel !
Baignoire pour la marque anglais C.P. Hart
Cadre numérique designé pour la marque high tech française Parrot, 2008
Piano “Voie Lactée” pour Pleyel, 2008 : une constellation d’un bleu Klein à l’extérieur, contrasté et modernisé avec le célèbre damier noir et blanc…
En savoir plus :
- Une sélection de livres sur Andrée Putman
“Le style Putman” de Stéphane Gerschel, Editions Assouline, édité en mai 2005 (189 pages)
“Andrée Putman - Ambassadrice du style” , Editions Flammarion, Catalogue de l’exposition organisée par la ville de Paris de novembre 2010 à février 2011 (télécharger ici le dossier de presse de l’exposition)
“Andrée Putman: Complete works”, monographie écrite par Donald Albrecht (préface : Jean Nouvel), Editions Rizzoli, édité en novembre 2009
M.L.