Les livres, ceux qui parlent de la vie, de l’homme, de la société, ne seraient qu’une « sorte de conversation à travers les siècles », dit Michel Houellebecq dans la correspondance échangée avec Bernard Henri-Levy, sous le titre de « Ennemis Publics ». Il poursuit : « On écrit, parce qu’on a lu, ça me paraît une évidence. Alors, je sais bien que ni Pascal, ni Dostoïevski, ni Baudelaire ne vont se lever de leur tombeau pour me répondre. Je le sais, et ne le sais pas ; parce que je me comporte exactement comme s’ils allaient le faire. Décidément, on n’est jamais aussi rationnel qu’on l’imagine. »
Voilà une réflexion qui en amène d’autres. Retenons l’idée de cette conversation. Elle se déroule entre les écrivains, sous les yeux – et la plupart du temps, nous « entendons » aussi les auteurs parler ! – des lecteurs. Une grande chaîne d’idées, de descriptions, d’émotions, mais surtout c’est un grand assortiment de questions. La plupart d’entre elles se résument à « que faisons-nous sur cette Terre ? ».
Dans cette interrogation nous déchiffrons toutes les autres : pourquoi vivons-nous, d’où venons-nous et où allons-nous, quels sont ces instincts de survie, de sexualité, d’amour, quelle est aussi cette force, cette énergie, qui sous-tend la vie, pourquoi la conscience, pourquoi Dieu ou pourquoi le néant ? Les vrais livres parlent de ça ! Dans la même conversation, dont je parle plus haut, Bernard Henri-Lévy écrit : « Les livres sont, non le miroir, mais les poutres de l’univers ; et c’est pourquoi il est si important que subsistent les écrivains… »
Est-ce à dire que les écrivains, mis à l’honneur ici, demain, ailleurs, partout, sont des êtres à part, des messagers de la pensée, tels des anges (ou des démons) surveillant la destinée de l’aventure humaine ? « L’écrivain est une sorte de voyant émerveillé » dit à ce propos André Pieyre de Mandiargues.
Relisons cet auteur du XXe siècle, surtout poète, et qui a des fulgurances telles que celles-ci : « Il n’est rien d’essentiel à l’homme qui ne soit figuré naturellement, dans le caillou, la plante ou la bête » ou « L’amour sort du futur avec un bruit de torrent, et il se jette dans le passé pour le laver de toutes les souillures de l’existence. »
Roland Barthes, pour en revenir à l’écrivain, corrobore l’affirmation : « Pour l’écrivain, la littérature est cette parole qui dit jusqu’à la mort : je ne commencerai pas à vivre avant de savoir quel est le sens de la vie ». Peut-être qu’au milieu des débats sur la crise, de l’édition comme du reste, sur le prix, sur la difficulté de vendre, sur la promotion et le mariage des médias audiovisuels et de l’écrit, faut-il avant toute chose se redire cette vérité : l’écrivain recherche un sens à la vie. Il le fait en son nom personnel, mais surtout au nom de tous ceux qui le liront un jour. Un mot, une phrase, une idée suffisent souvent pour enclencher chez celui qui lit un processus de délivrance.
L’écrivain est un personnage indispensable, unique, qui est logé dans l’ossature même du corps de l’existence humaine. Bien entendu, on sait que dans les gènes, que dans les replis de nos trois cerveaux se terrent les bases élémentaires de tout ce qui fait l’homme, sa petitesse et sa grandeur, ses handicaps comme ce fantastique élan d’espérance.
Bien sûr, certains espèrent que les monuments, les stèles, les obélisques, les œuvres architecturales leur survivront pour témoigner du génie d’un moment. Evidemment, les œuvres d’art peuvent durer, mais c’est depuis que l’homme utilise un langage propre que nous pouvons enfin mesurer, si pas le progrès, du moins l’évolution de l’homme. (On écrivait l’Homme, lorsque j’étais enfant !) La découverte du langage, des mots, des langues est l’invention essentielle. Et les livres en sont le véhicule précieux, comme la tradition orale sans doute.
Un jour, j’ai reçu une lettre – anonyme, cela va de soi, comme c’en est devenu la triste habitude à tout propos sur les forums du Net aujourd’hui ! – m’insultant et méprisant ce savoir que j’osais distiller autour des mots sur l’antenne publique, par exemple. Et la lettre se terminait par un argument, que son auteur croyait « massue », péremptoire et sans réplique, et qui aujourd’hui encore me fait sourire : « Et d’ailleurs, tout ce que vous avez appris, vous l’avez appris dans les livres ». … En effet !