La France a trouvé la parade à tous ses problèmes : elle se surtaxe tant qu’elle peut pour sortir de la crise, et se tient aussi éloignée que possible de toute solution énergétique viable. Pendant ce temps, côté énergie justement, la situation mondiale continue d’évoluer de façon assez spectaculaire…
En effet, les équilibres mondiaux sont en train de changer à mesure que les principaux pays développés et les pays émergents changent leurs méthodes d’approvisionnement en énergie. Ainsi, j’avais déjà parlé dans une précédente brève du fait assez remarquable que les États-Unis, en matière de production de gaz et de pétrole, talonnent voire dépassent l’Arabie Saoudite, longtemps premier producteur mondial.
Ici, il faut bien comprendre que plusieurs phénomènes entrent en jeu. D’une part, et c’est assez largement médiatisé, les États-Unis se sont massivement lancés dans l’exploitation des gaz de schiste. D’autre part, l’augmentation assez régulière du prix du baril de pétrole rend l’exploitation du pétrole traditionnel plus facilement rentable dans le pays, et permet d’amortir les coûts de mise en exploitation qui n’ont pas cessé de grimper notamment à cause des normes environnementales de plus en plus draconiennes sur le territoire américain. Il ne faut pas oublier que les États-Unis restent le pays disposant des plus grandes ressources de charbon, de gaz et de pétrole, comme le rappelle la petite vidéo suivante.
Il n’est alors plus très étonnant de lire que certains experts envisagent sérieusement l’indépendance énergétique des USA dans quelques décennies. Des économistes de BP pensent ainsi que les Américains seront auto-suffisants d’ici à 2030, rejoignant en cela les prévisions d’autres experts, de l’Agence Internationale de l’Énergie, qui voient les États-Unis devenir dès 2017 le premier pays producteur mondial de pétrole brut, devant l’Arabie Saoudite. Dans le même temps, si les tendances observées actuellement persistent (ce qui semble relativement raisonnable), les pays émergents comme la Chine et l’Inde vont devenir de plus en plus dépendants de leurs importations énergétiques, et devraient recourir encore davantage au charbon.
Pour la Russie, on sait déjà depuis des années que certaines formations géologiques de Sibérie, comme celle de Bazhenov, sont extrêmement prometteuses puisqu’elles sont estimées à 126.000 milliards de barils équivalent pétrole.
Du reste, en ce début d’année 2013, Gazprom va commencer à forer aux alentours et s’apprête à le faire en 2014 pour le bassin de Bazhenov. Shell est d’ailleurs de la partie, ainsi que pour l’exploitation du champ gazier de Yuzivske en Ukraine dans ce qui semble être le plus grand investissement dans l’histoire de ce pays.
Et pendant que des accords se nouent en Ukraine et en Russie, les perspectives d’exploitation s’étendent aux États-Unis avec la découverte récente de gisements importants en Californie estimés pour le moment à quelque chose comme 400 milliards de barils, ce qui représente à peu près la moitié de ce qui existe dans toute l’Arabie Saoudite (en pétrole conventionnel) – pour donner un ordre de grandeur, les États-Unis consomment environ 19 millions de barils par jour.
Le gaz de schiste, l’huile de schiste et les sables bitumeux sont, très manifestement, promus à un bel avenir. Il serait cependant un peu rapide de conclure seulement sur ce constat. En effet, au fur et à mesure que les puits se forent et que les explorations découvrent de nouveaux gisements, plusieurs personnes (géologues, professionnels de l’industrie pétrolière par exemple) ont émis des remarques, plutôt argumentées, sur la rentabilité globale des exploitations actuelles.
On trouve par exemple des articles comme celui-ci cherchant à savoir si l’exploitation du gaz de schiste par les moyens actuels est rentable ou non. Selon l’auteur, avec un prix du gaz actuellement autour de 3.7$ MBTU, les puits ne sont pas rentables ou ne permettraient pas d’arriver à l’équilibre financier. C’est peut-être vrai (sa conclusion dépend grandement des hypothèses qu’il expose dans son papier), et cela corroborerait la situation économique équivoque de certaines entreprises d’exploitation gazière ; en effet, le gaz de schistes, aux USA, est massivement exploité par des entreprises de taille plus modeste que les grandes compagnies pétrolières mondiales comme Total, Shell ou BP.
Cependant, le fait même que ces entreprises ont commencé à investir dans la recherche et l’exploitation des gaz et pétroles non conventionnels indique de façon assez claire qu’il y a bien de l’argent à se faire. Du reste, en Europe, l’actuel prix du gaz (au dessus de 11$ MBTU) modifie de façon sensible le seuil de rentabilité des opérations, ce qui explique le positionnement de Total. Il est très intéressant de constater comment les propos à ce sujet de Margerie, le PDG du groupe pétrolier, ont été repris dans les différents sites d’information (ou de propagande, c’est selon) : ce dernier explique de façon claire qu’à 6$ MBTU et au-delà, l’exploitation était envisagée, mais plus à 3.5. Les écologistes et habituels contempteurs de toute nouvelle technologie ont fait leur miel de cette remarque, mais ont fort opportunément oublié le reste des explications du pétrolier :
Les productions redémarreront quand les prix du gaz repasseront au-dessus du prix de revient. Nous allons en revanche continuer nos investissements dans d’autres pays où les marchés sont porteurs, comme la Chine, la Pologne et le Danemark, où nous devrions commencer un forage d’exploration cette année.
On voit mal le groupe se lancer dans ce genre d’aventure si la tentative était définitivement vouée à l’échec. On voit mal Shell investir assez lourdement en Ukraine et dans la Sibérie russe sans espoir de récupérer largement leur mise. Et on comprend que, de façon mécanique, le gaz actuellement sur-produit aux Etats-Unis va reprendre progressivement un prix de marché où la rentabilité des opérations sera assurée.
En tout état de cause, l’énergie disponible pour aller forer et exploiter ces gisements existe : on dispose de centaines d’années de charbon directement exploitable, d’uranium, de thorium. Les techniques de fracturation hydraulique, de forages profonds ou en haute mer sont encore améliorables et automatisables. Le prix même des ressources retirées de ces gisements peut encore largement évoluer favorablement pour leur exploitation ; et si l’on n’oublie pas que la plus grosse partie du prix des carburants utilisés dans les transports sont des taxes et ne sont pas liées au produit, à son traitement ou à son acheminement, on comprend toute la latitude qui existe vis-à-vis du consommateur pour que l’ensemble des opérations soit très largement rentables, économiquement, énergétiquement et écologiquement parlant.
Peut-être les jours du pétrole facilement exploitable et extractibles sont finis. Quand on voit où sont situés les puits pour ces pétroles-là, la perte d’influence qui s’accompagnerait d’une diminution de leur production ne semble pas, géopolitiquement parlant, une grande perte. De plus, on peine à trouver dommage que les prochaines nations riches d’hydrocarbures soient les démocraties occidentales.
Quoi qu’il en soit, et cela fera certainement rager les malthusiens, l’Humanité n’est pas prête de manquer d’énergie.