« En adaptant les notes aux instruments de musique, et en y ajoutant les boucliers et les haches, les plumes et les bannières, on obtient ce qu’on appelle la musique. » (Mémorial des Rites). Les Raincoats étaient heureusement incompétentes, elles tripotaient leurs instruments au hasard, comme si elles les avaient découverts cinq minutes avant d’en faire sortir le moindre son. Il y en avait une qui jouait du balafon au pif, une qui faisait crisser un violon sommaire, une autre au piano boiteux. Les Raincoats ne savaient pas plus chanter qu’elles ne savaient jouer, la voix d’Ana Da Silva ressemblait à un croisement accidentel entre Nico et le mantra tibétain, c’était une voix d’amateur détachée comme on en rencontre peu. Bref, les Raincoats ne valaient fondamentalement pas grand-chose. Elles étaient pourtant inestimables, leur fausse musique ethnologique enchantait l’âme. C’était un drôle d’assemblage biscornu qui montait dans le ciel pour mieux se disperser à des altitudes himalayennes. On écoutait tout ça dans une sorte d’ébahissement ravi tout en se disant que ces airs bancals avaient certainement pris naissance dans de bien surprenants cœurs humains. La musique sait se contenter d’un cœur humain surprenant, il est parfois suffisant à toute autre chose. Il bas de guingois, s’attendrit dans une drôle d’arythmie. Cette arythmie, l’émotion d’un cœur ému, se manifeste par des sons qui se répondent tant bien que mal entre eux. Ces sons donnent lieu à des différences ; des différences qui forment des notes ; des notes qui font des accords ; des accords qui font des chansons aussi brinquebalantes soient elles. Finalement, tout est assez simple. Voilà pour les Raincoats, voilà pour la musique.