J’ai cherché vainement « le testament » de Léo Ferré sur youtube, et je me suis rendu compte avec horreur qu’il était devenu introuvable. C’est comme si j’alzheimerisais, comme si ma culture foutait le camp. Il est probable qu’une quelconque censure, un rappel des droits d’auteur a obligé le déposeur de cette video à la retirer. Cette chanson française, celle de Barbara, Ferré, Brel, Brassens, Reggianni, est ma culture la plus profonde, celle qui m’a pénétré jusqu’au fond des tripes quand j’étais ado, c’est mon âme, et le seul media qui ait jamais exprimé ce que je ressentais. Depuis, d’autres ont suivi, mais si insignifiants qu’ils n’ont jamais pu soutenir la comparaison avec ces ainés inoubliables.
Tous mes chanteurs sont morts, ils ne restent que leur ombre sur youtube, si la dictature des droits d’auteur les retire progressivement, ce sera comme une mort culturelle pour moi, je ne pourrai plus les convoquer d’un clic. Ces voix se tairont à jamais « avec nos magnétophones qui se souviennent de ces voix qui se sont tues » disait Ferré, et c’est très vrai. Un jour, je chantais Brel pour moi, et j’ai soudain réalisé qu’il était mort, que je n’en verrai plus que le reflet dans ces multiples videos, figées à jamais. Et je me suis rendu que Brel vivant, c’était moi, que je pouvais encore le chanter, le moduler, lui donner de la vie, l’incarner, et que nous, ces amateurs du temps où la chanson française avait des textes, nous étions des héritiers indispensables, les dernièrs à porter ce qui avait disparu.
Je me suis ainsi rendu compte que nous portions en nous un relais, une voix, qui s’était tue à jamais. Cette vibration que nous avions éprouvée, nous étions les seuls à pouvoir encore la restituer, à l’habiter.