The Kinks & Madness

Publié le 22 janvier 2013 par Bertrand Gillet

L’Angleterre ou la pop de quartier.

Comme le suggérait habilement Simon Reynolds dans Retromania, la nostalgie s’est emparée du rock. Mais de la façon la plus artificielle qui soit. En effet, la plupart des jeunes groupes ayant émergé ces dix dernières années se bornent aujourd’hui à réinterpréter le passé, à le « singer ». D’autres formations plus anciennes – et pas des moindres – ont tenté l’exercice mais de manière profondément incarnée, se penchant le temps d’un album sur la période ô combien innocente de leur enfance. Un paradis perdu. À travers Muswell Hillbillies et The Rise and Fall, les Kinks – en 1971 – et Madness – onze ans plus tard– retrouvent le chemin des faubourgs où ils ont grandi et par la même celui plus immatériel de leur jeunesse envolée. En 1971, les Kinks sont quelque peu largués. Ils ont perdu leur mojo, celui qui leur avait inspiré les chefs-d'œuvre de la décennie précédente, pendant ces années fastes s’étalant comme la marmelade de 1965 à 1970. Leur penchant pour le vaudeville, s’il leur a assuré l’éternité, a cependant coupé les Kinks du reste du monde, ce monde qui vibre au son d’un rock psychédélique aux artifices novateurs. Août 1971, le groupe réinvestit les studios Morgan à Londres pour y graver un nouvel album concept – la principale lubie de Ray Davies – qu’il souhaite paradoxalement plus immédiat. C’est tout du moins l’esprit dans lequel il a composé ses douze nouvelles chansons. Abordant les frustrations de la vie moderne – sujet principal et prétexte évident – Ray en profite surtout pour raconter son quartier, Muswell Hill. La pochette fixe telle un instantané l’âme de cette paisible et modeste banlieue de Londres aux bars réchauffés par la franche camaraderie et les vapeurs de l’alcool. Détail étonnant, d’un bout à l’autre de l’album les Kinks se réinventent musicalement trouvant dans le classic rock américain – et surtout cette country qui fait les belles heures des groupes de Laurel Canyon – un nouveau style et donc un avenir. À la sortie du disque – publié par le label américain RCA –, on les compare immédiatement au Band ou à Randy Newman période Good Old Boys. Pourtant, même bluesy, les Kinks sont toujours les Kinks. Le son a beau s’étoffer et la production se ruraliser, ils possèdent toujours cette inclination pour les vignettes old school façon Village Green, leur magnum opus. En témoignent 20th Century Man, Holiday, Have A Cup Of Tea, Muswell Hillbillies. Bien que mineure, cette œuvre en bois brut demeure magistrale. C’est en tout cas le dernier très bon disque des Kinks, de ceux que l’on peut largement écouter et réécouter sans rougir. Dix années plus tard, les punks sont passés sur l’occident telle une tornade, balayant les groupes 60s dont les infortunés Kinks. Quand l’écume se retire, il ne restera que de glorieux vestiges – la culture Mod très vite trustée par des formations comme les Jam – et de nouvelles formes d’expression musicale : la new wave, le ska… Et le Two-Tone, fusion de ces trois genres. Puisant dans ce vivier, Madness va devenir le porte-drapeau d’une musique à la fois traditionnelle et excentrique, dixit les rythmes sautillants, le look cintré et le graphisme en damier. Meilleur album de Madness selon le NME, The Rise & Fall multiplie les influences – pop, ska, music hall, hindouisme – tout en conservant l’élément clé qui avait bâti le succès du groupe sur les trois premiers disques : à savoir les chansons. Disons-le, Madness n’a pas son pareil pour produire des hits en cascade, des compositions courtes, simples que tout le monde retient et sur lesquelles la jeunesse anglaise danse comme pour oublier le réalisme froid de Maggy Thatcher. Nous sommes alors en 1982 et la culture MTV explose littéralement. C’est alors que le septuor de Camden change d’orientation musicale. Madness migre d’un rock goguenard vers une pop music plus inspirée. La production va s’enrichir et les chansons gagner en force. Toutes explorent la jeunesse de leurs auteurs et le nord de Londres, leur territoire. Rise and Fall, Primrose Hill ou Our House fleurent bon les rues grouillantes et populaires que Madness dépeint avec une certaine mélancolie, couleur qui lui sied finalement à merveille. Dans les deux cas, ce retour en arrière n’a rien de conservateur ni de populiste. Il entretient un rapport étroit au temps qui efface tout. Ainsi, la vieillesse est pareille à un grenier : on y entrepose des souvenirs que l’on finit toujours pas oublier. Une fois gravés sur disque, ils existeront à jamais.

The Kinks :


Madness, The Rise & Fall :

http://www.deezer.com/fr/album/753234



22-01-2013 | Envoyer | Déposer un commentaire | Lu 8 fois | Public Ajoutez votre commentaire