Résultat de fortes tensions, l’Europe de l’Est est devenue une entité politique à partir de 1945. Pendant près d’un demi siècle, l’art s’y est fait dans un contexte local et des circonstances particulières, générant une relation unique entre art et société. Issue d’un contexte non-occidental et marquée par la séparation de la Guerre froide, la création d’Europe centrale fait souvent l’objet de confusion de la part d’observateurs cherchant à appliquer aux artistes d’Europe de l’Est une grille de lecture post-moderne. Certains artistes tels que Edward Krasinsky, Alina Szapocznikow ou encore Maria Bartuszova ont développé des travaux formalistes selon une vision autonomiste de l’art. Au premier abord, le spectateur contemporain ne peut que constater le décalage que manifestent ces œuvres avec des propositions développées à la même époque dans le monde occidental. Ce décalage trouve ses origines dans un certain contexte historique et sociopolitique dans lequel le modernisme a longtemps été associé à un art bourgeois. Ainsi, la « persistance moderniste » constatée dans un pan de la création d’Europe de l’Est a longtemps incarné une véritable résistance à l’instrumentalisation des arts par l’Etat socialiste et doit être relue à la lumière de ses racines historiques. Les connivences entre ces artistes des années 1960 et 1970 et les comportements de la jeune génération se révèlent notamment par la reprise de l’idée d’utopie et de progrès moderniste par de jeunes artistes cherchant à relire un héritage ignorant le courant postmoderne. Particulièrement évidente en architecture, l’utopie moderniste est devenue un sujet important pour les artistes contemporains, traitée le plus souvent sur un mode ironique et critique par des artistes tels que Anri Sala, David Maljkovic, Marjetica Potrc, Alban Hajdinaj, Stano Filko ou Cyprien Gaillard. Pourtant, une forme d’engagement politique pleine et assumée subsiste chez certaines personnalités hors normes, telles que Edi Rama. Maire de Tirana et président du Parti Socialiste Albanais, Edi Rama est à la fois artiste, publicitaire et plasticien. Depuis 2001, il ajoute des couleurs à des bâtiments de la ville de Tirana, cherchant à produire une manifestation visuelle de la nécessité de changement. Pawel Althamer, artiste polonais né en 1967, fait preuve d’un engagement similaire. En 2000, il demande aux habitants d’un immeuble HLM de Varsovie de créer un panneau signalétique gigantesque en allumant les lumières de certaines fenêtres, inscrivant ainsi le nombre 2000 sur l’ensemble de la façade. Plus tard, il engage des sans-abri pour leur donner le rôle de critiques d’art lors de l’ouverture de l’une de ses expositions. Les deux artistes témoignent d’une même volonté d’intervenir par des gestes esthétiques dans le champ du politique. Pourtant, ils divergent par le ton adopté, le premier renouvelant un discours utopique assumé, le second opérant avec distance et ironie.
Laure Jaumouillé