Longtemps, je me suis levé de bonne heure ...
Rassurez-vous, amis visiteurs, ce n'est pas par méconnaissance que j'ai ainsi trahi l'incipit le plus célèbre de la littérature française, la première phrase de A la recherche du temps perdu, de Marcel Proust.
J'ai simplement repris, petit clin d'oeil, ce qu'au début de 1983, j'avais estimé quelque peu audacieux, voire irrévérencieux, à savoir le titre de l'émission matinale de France-Inter présentée par Philippe Caloni qui s'était permis de remplacer couché par son antonyme.
Certains lecteurs parmi vous s'en souviendront peut-être ...
A présent, trente ans après, j'ose en sourire ... et m'approprier ce mot que ce matin je place volontairement dans la bouche de Tepemânkh.
Ce Tepemânkh que nous avons appris à mieux connaître mardi dernier, en le différenciant de son homonyme également présent au Département des Antiquités égyptiennes du Louvre. Ce Tepemânkh qui nous a vus des semaines et des mois durant nous approcher de lui - mais sans véritablement jamais lui accorder la moindre attention ! -, à l'écoute que nous étions tous de ce que Metchetchi nous expliquait. Ce Tepemânkh qui, longtemps, s'était assurément lui aussi levé de bonne heure, espérant que, peut-être, l'on ne sait jamais, il se pourrait bien que ... et qui, de mardis en mardis, de plus en plus dépité, nous vit ne jamais le voir ... Ce Tepemânkh qui crut qu'à aucun moment son jour n'arriverait de réussir lui aussi à nous intéresser. Ce Tepemânkh qui ne trouva rien mieux pour éveiller notre appétence ici-bas que nous parler de son appétit dans l'Au-delà ...
En effet, et comme je le précisai au terme de notre précédent rendez-vous, amis visiteurs, nous serons reçus ce matin et mardi prochain, commensaux privilégiés, à la table du repas funéraire de cet amphitryon de choix, haut fonctionnaire de cour dans l'Égypte de la fin de la Vème dynastie et du début de la VIème.
Certes, Metchetchi, souvenez-vous, nous avait mis l'eau à la bouche avec son menu personnel que, d'où nous nous trouvons pour l'instant tous regroupés en demi-cercle devant la vitrine 5, nous avons encore l'opportunité d'apercevoir sur notre droite, pratiquement au centre du grand meuble vitré s'étendant sur le mur nord.
Mais point de table chez Metchetchi, devant laquelle, comme Tepemânkh, nous l'aurions trouvé assis. En outre, et d'un seul coup d'oeil, vous aurez évidemment remarqué que les fragments de paroi murale de ces deux hommes sont nettement distincts : l'un est peint alors que l'autre est gravé en bas-relief, l'un se présente en colonnes quand l'autre est constitué de cases carrées.
Nonobstant, et même si quelques diversités de contenu permettent de les dater de règnes de souverains différents, ce qu'ils désignent se révèle pratiquement identique : il s'agit des victuailles dont, comme tant d'autres, ces deux fonctionnaires auliques souhaitaient à jamais bénéficier dans leur maison d'éternité.
Corseté dans un encadrement de métal, le relief de calcaire de Tepemânkh que le musée parisien acquit en 1956 mesure 118 cm de haut, 101 de long et est épais d'approximativement 3,5 cm.
Tel, et malgré ses dimensions, il me paraît vraiment perdu dans ce fort grand espace devenu sien, même si l'accompagne un dessin explicatif en réduction de ce que contiennent les différentes cases.
Il me semble également important de préciser d'emblée que nous ne sommes nullement en présence d'une stèle - comme vous pourriez le lire en vous rendant sur l'un ou l'autre site Internet -, mais d'un bas-relief, imposant fragment arraché vraisemblablement au milieu du XXème siècle au mastaba D 20 qui avait été découvert quelques dizaines d'années auparavant - entre 1903 et 1907 - par l'égyptologue allemand Georg Steindorff alors que, pour le compte de l'Université de Leipzig, il fouillait la nécropole ouest de Gizeh, plus familièrement appelée d'ailleurs "Cimetière Steindorff" par les égyptologues.
Aux fins de ne point trop crier haro sur le baudet, je dois à la vérité d'ajouter que cette confusion est partiellement explicable dans la mesure où ce type de scène se retrouve également sur bon nombre de stèles présentes dans maints tombeaux memphites.
Beaucoup d'entre elles furent étudiées par l'égyptologue Peter Der Manuelian, titulaire de la chaire d'égyptologie de l'Université de Harvard, dans un ouvrage capital en la matière : Slab stelae of the Giza necropolis, librement téléchargeable sur le Net.
(A ceux d'entre vous que cela intéresse, il suffira de cliquer sur le titre ci-dessus pour y accéder).
Délaissons à présent, voulez-vous, le monument entier - nous y reviendrons plus tard, en février ... -, et consacrons-nous plus spécifiquement au "menu" de Tepemânkh gravé en sa partie supérieure.
Vous l'aborderez de droite vers la gauche puisque, comme je l'ai maintes fois souligné lors de précédentes rencontres, la lecture des hiéroglyphes s'effectue toujours en se dirigeant vers la face des animaux figurés ou le visage des personnages représentés : et comme vous l'aurez ici remarqué, Tepemânkh assis à gauche de la composition regarde vers la droite et tous les petits hiéroglyphes animaliers sont eux aussi tournés dans cette même direction.
Sachant que, dès la Vème dynastie, fut fixée une liste canonique du rituel de l'offrande comprenant, répertoriés toujours dans le même ordre, répartis en quelque 90 items, rites à exécuter, produits de bouche qu'à sa meilleure convenance le trépassé pouvait déguster ainsi que les rations qui devaient être attribuées à chacun d'eux, - énumération que l'égyptologue allemand Winfried Barta a minutieusement étudiée -, l'on peut, sans trop conjecturer, établir que la présente liste d'offrandes alimentaires correspond aux "menus" habituellement retrouvés dans les mastabas de la Vème dynastie, même si quelques minimes détails la distinguent de ses consoeurs, comme par exemple l'inversion de deux cases, ou l'absence d'une autre, ou encore deux produits différents anormalement gravés à l'intérieur du même petit espace carré.
Mais ne sont-ce très probablement là que d'infimes erreurs dues à un lapicide peu attentif et certainement pas une preuve
d'un changement typologique naissant au sein des multiples scènes de repas funéraire qui se sont succédé à la fin de l'Ancien Empire.
Toutefois, et en référence toujours à la liste "type" de cette époque définie par Barta, il appert que les 15 premières rubriques qui auraient dû constituer la rangée supérieure ont ici disparu : elles indiquaient, c'est certain, les rites préparatoires, ceux de purification (verser l'eau, auriez-vous pu lire en entrée), d'encensement (par deux fois : brûler l'encens), d'onction (avec les sept huiles rituelles que nous avons notamment rencontrées chez Metchetchi), de maquillage (un sachet de fard vert, un de fard noir) et d'habillement de la momie (deux bandes d'étoffe).
Il vous faut aussi être conscients, amis visiteurs, - car cela saute partiellement aux yeux -, que dans les déprédations infligées à ce bas-relief, d'autres cases ont également été "sacrifiées" sur la droite : en fait, une et demie à l'entame de chacune des rangées horizontales.
Mais, s'interrogeront assurément les plus impatients
d'entre vous - parce qu'en ce début d'année ils ont consenti à un déplacement jusqu'à Paris, depuis Genève ou Nice
Mardi prochain, 29 janvier : cela vous
agréerait-il ?