Honni soit qui Mali pense

Publié le 21 janvier 2013 par Alaindependant
lundi 21 janvier 2013

Luc Collès nous propose de publier cet article qui, sur les questions centrales du néo-colonialisme et du développement d'une part, des guerres actuellement en cours notamment au Mali et de leurs alternatives d'autre part, ne s'inscrit pas dans les perspectives habituelles du blogue. Mais "à la Voltaire" nous permettrons à nos lecteurs de prendre connaissance d'idées certes intelligemment argumentées mais exprimant des orientations de fond qui ne sont pas les nôtres. Que chacun y trouve matière à "penser par lui-même" ! 



Non, la prise spectaculaire d'otages dans le sud de l'Algérie n’est pas la conséquence
de l'intervention française au Mali, ni « un avertissement » au gouvernement algérien pour
avoir laissé passer les avions français, comme l’annoncent les islamistes. Le commando est
venu de Libye et une opération pareille ne se monte pas en quarante-huit heures.
Il est de bon ton, des États-Unis au fond de l’Inde où je suis actuellement, d’accuser
« le colonialisme français », voire la « Françafrique ». Ces analystes ont plusieurs guerres de
retard !
D’abord ils oublient la guerre civile qui déchire le monde musulman, dont l’Algérie
depuis 12 ans, puis les guerres, plus récentes, autour d'un islamo-gangstérisme mariant
contrebande, trafic de drogue, prise d'otages, pillages et assassinats crapuleux à la
revendication djihadiste de transformer les Etats du Maghreb et du Sahel en émirats
islamistes, ce qui n’est pas du tout du goût des populations locales pourtant pieusement
musulmanes. Et ces djihadistes proclament viser la France et l’Europe. Bref les « conseils »
de laisser les Africains « s’entendre (?) entre eux » me paraissent négliger l’histoire passée et
future.
Mais ce n’est pas gagné, car à long terme la réussite dépendra de la qualité des troupes
africaines et notamment maliennes, qui se sont jusqu’à présent surtout illustrées par le pillage
de leur peuple, la fuite devant l’ennemi et le putsch à l’arrière.
Quant à la « Françafrique », brandie pour justifier les échecs africains, il s’agit certes
de coups de mains réciproques Nord-Sud entre politiciens et affairistes. Mais ce n’est qu’un
modeste bricolage comparé à certaines manoeuvres autour du Kivu, et surtout à la
Chinafrique !
Et les Arabes qu’en pensent-ils ? Ils sont divisés. Les uns reprochent à la France de
défendre les Maliens et non les Syriens révoltés (mais aidés par des mouvements islamistes,
ce qui explique l’approbation de l’intervention française par Bachar El Assad !). D’autres
dénoncent une nouvelle forme de colonialisme destinée à piller les richesses des musulmans
(je me demande lesquelles, s’agissant du Mali !)
En arrière plan il y a des frontières aujourd'hui absurdes tracées par la France,
notamment pour avantager "l'Algérie française" ou la gestion du reste du Sahara à partir de
Bamako et Niamey, voire de Dakar, une future indépendance étant loin des idées de l'époque.
Mais les Africains se sont « appropriés » ces frontières, et on voit pas qui voudrait ou pourrait
les changer maintenant.
Ayons enfin une pensée pour ces malheureux Etats arabes pétroliers wahhabites, pris
entre leur souci de respectabilité pour la sauvegarde de leurs investissements en Occident, et
leur soutien (indirect ?) aux djihadistes.


La détente indo-­‐pakistanaise décapitée
Nous avons vu dans la lettre précédente le ballon d’oxygène économique que serait
une paix indo-pakistanaise. Une carte nous montre la continuité géographique entre les deux
pays, alors qu’ils ont ailleurs bloqués par d’immenses massifs montagneux (survoler l’axe
Kaboul-Delhi en coupant le Pakistan l’illustre spectaculairement). Le commerce bilatéral ne
s'élève qu'à 0,24 % du commerce extérieur indien, et les visas sont difficiles. De plus, cette
paix générerait de plus une immense détente géopolitique, impliquant l’Afghanistan et la
Chine, ainsi que les Etats-Unis.
Mais au Cachemire indien, néanmoins musulman d’où la tension actuelle, des soldats
indiens proches de la ligne de cessez-le feu indo-pakistanaise se sont fait tuer et décapiter.
L’Inde est horrifiée et réclame vengeance. Le Pakistan dément être impliqué, mais chacun
connaît le soutien de ses services secrets aux attentats islamistes en Inde. Le gouvernement
indien déclare vouloir s’appuyer sur « ceux des Pakistanais voulant la paix » et continuer les
pourparlers, actuellement gelés. Mais le gouvernement pakistanais a d’autres chats à fouetter,
avec un premier ministre poussé à la démission pour corruption par la cour suprême et une
forte contestation soufie (majoritaire, mais pacifique : ne pas confondre avec les islamistes,
puissants, souvent violents, mais minoritaires comme l’ont une fois de plus prouvé les
dernières élections), sans parler des guerres civiles dans les villes pluri-ethniques.


L’islam, religion de paix et de tolérance ?
C’est ce que proclament beaucoup de musulmans. De nombreux non-musulmans,
Occidentaux, asiatiques ou Africains ironisent au vu des déclarations hostiles et des tueries
rapportées par les médias, ce qui ne fait qu’élargir le fossé.
En fait, cette discussion n’a pas de sens. Les musulmans répètent ce qu’ils ont appris
et dont ils sont donc convaincus. La grande majorité est formée par des imams (ou des
parents, ou des enseignants ; remarquez le « des ») qui leurs enseignent paix et tolérance.
Mais d’autres (les wahhabites, les talibans…) ont une formation opposée, qui les pousse à
l’intolérance, d’abord envers les autres musulmans, considérés comme des apostats à remettre
dans le droit chemin, et à tuer s’ils s’obstinent. Les chrétiens de ces dernières zones sont en
principe respectés comme ailleurs (contrairement à une légende tenace, il n’y a pas eu de
conversion forcées à l’islam), mais il suffit que surgisse « un problème de frontière »
(fourniture d’alcool, regard appuyé sur une musulmane, flirt entre deux jeunes, querelle
individuelle pour laquelle on cherche un appui en criant au blasphème) pour que la violence
éclate, tout autant contre les musulmans tolérants (assassinat du ministre pakistanais opposé à
la condamnation pour blasphème) que contre les chrétiens.
Bref, comme il y a quelques siècles chez les chrétiens, la religion fournit aussi bien
des Saint Vincent de Paul que des Savonarole, et les victimes de ce dernier ou de l’Inquisition
ne devaient pas être convaincus par la proclamation d’une « religion d’amour » pourtant
souvent prêchée et pratiquée ainsi.
Et comme les médias ne parlent que de ce qui est choquant, odieux ou spectaculaire, et
non « des trains qui arrivent à l’heure », ce sont les « fous furieux » et non « la paix et la
tolérance » qui marquent les esprits des non-musulmans.


Les dollars sont peureux
On sait à quel point les investissements étrangers ont fait décoller les pays sousdéveloppés
qui ont su les attirer, avec l’arrivée de capitaux, de cadres compétents, de
techniques nouvelles et souvent une formation interne efficace pour les « locaux ». Singapour
a très rapidement rejoint ainsi le niveau européen, ainsi que bien d’autres « petits » pays, et
plus tard la Chine, puis l’Inde (imparfaitement pour ces deux pays encore empêtrés dans les
rémanences du socialisme). On sait moins souvent que le Japon, les Etats-Unis et bien
d’autres en avaient eux aussi massivement bénéficié en leur temps, avant de devenir à leur
tour investisseurs. Aujourd’hui on pourrait rajouter ces petits mais nombreux contributeurs
que sont les touristes.
Bref il y a là un moyen simple et efficace de développement, à condition de « dérouler
le tapis rouge » et non de les traiter en « vaches à lait » méprisées ou en étrangers à
nationaliser au plus vite. Non, je ne parle pas de certaines déclarations françaises, mais des
lamentations des pays du Maghreb et du Sahel lors d’une réunion récente avec le FMI, et qui
constatent que les investisseurs ne viennent pas chez eux, malgré leur marché potentiel de
100 millions d'habitant et leur sous-sol riche (gaz, fer, or, phosphates) : les étrangers apportent
moins de 3 % de leur PIB, contre plus de 20 % ailleurs.
Comme Christine Lagarde pour le FMI vient de leur rappeler à cette occasion, il faut
« une réglementation impartiale, un régime fiscal et douanier juste et prévisible, une justice
équitable, des infrastructures de transport et d'énergie correctes … ». Rajoutons qu’il vaut
mieux également ne pas prendre leur personnel en otage ou laisser manifester les salafistes :
les dollars sont peureux. Jusqu’à présent le Maroc s’en tire moins mal que les autres pays de
la région.

Échos du monde musulman N° 177
21 janvier 2012

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