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La stratégie dite à Timoléon (C. Le Borgne)

Publié le 21 janvier 2013 par Egea
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Voici un livre que j'ai acquis au dernier FILM : dans le stand, j'étais assis face au général Le Borgne que je voyais passer son temps à noircir, d'une cursive appliqué, un petit cahier d'écolier. Observer les hommes écrire est toujours d'un grand intérêt, et ce qui me frappa fut à la fois la capacité de concentration dans le tumulte de ce salon public, et la progression "linéaire", ni trop rapide ni trop hésitante, de l’écriture qui courrait sans rature : comme si une dictée intérieure s'imposait à l'écolier... sauf que l'écolier avait atteint les rivages de la vieillesse, et que la dictée n'était que l’œuvre de la pensée, accouchée sous mes yeux. Plutôt que les aventures du lieutenant Déodat, c'est son œuvre stratégique qui m'intéressa. Disons le d'emblée : elle n'a pas pris une ride !

La stratégie dite à Timoléon (C. Le Borgne)

1/ Ce qui frappe à l'abord, c'est cette grande habileté d'écriture, où un livre de stratégie prend la forme d'un dialogue entre un officier d'état-major, quittant l’ilot Saint-Germain pour rencontrer, à l'écart de ses bases et au cœur du Quartier Latin, un jeune impertinent, espiègle et cultivé, qui le pousse dans ses retranchements. Le contraste des caractères, la forme de l'échange, les à-côtés qui permettent à la pensée de faire une pause avant de reprendre constituent une réussite d'écriture qu'il faut louer

2/ Le livre est passionnant, divisé en trois parties : la première évoque la nécessaire paix qui régit l'Occident, paix due à la bombe : on reconnaît le penseur nucléaire que fut Le Borgne, lui qui passa dix ans, au moins, à controverser élégamment avec Poirier. Poirier n'aurait pas été ce qu'il fut sans le défi de Le Borgne. Pas de bonne thèse sans bonne antithèse, et Le Borgne fut le plus grand service rendu à Poirier. C'est de lui que je tiens que la bombe, c'est la paix (même si je ne suis pas sûr qu'il ait prononcé cet aphorisme provoquant : mais il l'eût mérité).

3/ La deuxième évoque la guerre qui demeure, chez ces "barbares" du sud, même si on s'aperçoit qu'ils ne sont pas forcément au sud. Les illusions compassionnelles et onusiennes sont dûment disséquées, et Huntington critiqué pour son simplisme, même s'il révèle indirectement la question de l'islam : le vieux méhariste qu'est Le Borgne a du mal à trouver le musulman derrière la caricature qui en est faite à l'époque (je crains qu'en la matière les débats contemporains ne le satisfassent guère plus).

4/ La dernière partie est la plus prospective et la plus politique. Il y est question de l'état de militaire, de l’État, de la nation, de la morale : bref, de toutes ses choses désuètes et disparaissant dans l'air du temps, dans cette "subversion anonyme" due notamment aux médias. Désormais, les barbares sont parmi nous, ce sont nos propres enfants. Quant au cyber et à l'Internet, c'est l'éternel présent qui se venge en dévorant le passé et le futur.

5/ Voici donc un livre qu'on lit avec jubilation, devant l'élégance de l’écriture et l'élévation de la pensée : voici un livre "spirituel", dans son sens le plus français, mais aussi son acception humaine, celle de l'élévation de l'esprit. Ce livre fut écrit en 1999 : treize ans après, il ne souffre pas de l'outrage de l'âge et constituera, certainement, un classique. A lire donc d'urgence.

Claude Le Borgne, "la stratégie dite à Timoléon", Economica, 2000, 320 pages.

O. Kempf


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