Un jour, nous étions partis en balade sur l’isola de Torcello, avec Olga et notre amie Svetlana. Alors que Klod faisais le pitre sur le Ponte del Diavolo, un chat indigène s’approcha de nous et, à notre grande surprise, nous demanda si nous connaissions « La véritable histoire du Pont du Diable » …
Voici, mot pour mot, l’histoire qu’il nous a contée :
Il n’y avait autrefois aucun pont qui enjambait le canale de Torcello, comme aujourd’hui, et il fallait aller jusqu’à la cathédrale, puis revenir sur l’autre rive pour se rendre dans le quartier opposé du canal.
D’ailleurs, en ce temps là, le canal s’appelait Rio di Borgogno, à cause des bourguignons qui exploitaient le gaz de la lagune. Plus loin, il était prolongé par le Rio della Piazza qui contournait la piazza de Tor Zelo. Sur la droite, partait le Rio di S. Zuane, menant au monastère homonyme, où il se jettait dans le Rio Cavata da Dietro il Domo qui passait juste derrière la cathédrale où il se jetait dans le Canale de Torzelo longeant la palude della Rosa.
Donc, au XIIIème siècle, on décida de construire un pont sur le rio, pour relier deux quartiers où les marchands et les palais étaient nombreux.
Les fondations furent facilement réalisées, mais impossible de construire un tablier qui puisse résister plus d’un mois. Deux siècle plus tard, le pont était toujours en construction…
L’architecte a qui on avait confié cette délicate mission au XVème siècle n’eût pas plus de succès que ses précédents collègues. Il venait à peine de terminer son ouvrage, que, quelques jours plus tard, le pont s’écroula.
Venu constater les dégâts, il marmonna, entre ses dents, « Vendrais-je mon âme au diable, pour concevoir un pont indestructible… » à peine ces mots étaient-ils prononcé, qu’il aperçu, au milieu du rio, sur les pierres entassées par l’éboulement du pont, un viel homme entouré de six chats.
« Je connais le secret pour construire ici un pont qui défie le temps... », lui dit le vieillard, « ... mais, pour que je t’en donne le secret, tu devras signer un pacte avec moi. »
Tout juste si l’architecte eût le temps, d’un battement de cils, de faire entendre qu’il serait, peut-être, d’accord. Un des chats sauta sur la berge, muni d’un papier, et, d’un vif coup de patte griffa le bras de l’architecte. Il trempa une plume dans la goutte de sang qui perlait, et intima l’ordre de signer le pacte. « En échange de mon aide pour la construction de ce pont indestructible, je prendrai la première âme qui passera sur le pont » ricana le diable avant de disparaître avec ses six chats.
Jamais, dans la lagune de Venise, un pont fut construit aussi rapidement, une merveille de finesse et d’élégance, dont encore aujourd’hui, quand on le regarde, on se demande comment il peut bien tenir si ce n’était œuvre diabolique.
Le pont achevé, l’architecte en fit barrer l’accès. Le jour où il devait être inauguré, il chercha un moyen de duper le diable. Avec un batelier il partit dans une ferme chercher une brebis.
De retour près du pont, ils étaient occupés, avec le batelier à débarquer l’animal, quand surgit la femme du marin. Bousculant les barrières, elle accourut sur le pont pour crier à son mari que leur enfant allait naître, qu’il fallait se presser…
On se pressa bien, mais l’enfant était mort-né, le diable avait pris son âme, conformément au pacte.
Parfois, certains soirs, surtout quand souffle la sinistre bora, le vent glacial venu des montagnes, on entends un nourrisson qui pleure près du pont. Écoutez bien, même les chats vous le diront.