Le Service Médico Psychologique Régional (SMPR) de la prison des Baumettes à Marseille, les soignants (psychiatres, infirmières, ergothérapeute) sont filmés dans leurs actes de soins quotidiens auprès d’hommes, fussent-ils prisonniers (visage masqué ou tronqué, loi oblige). Sophie, une psychiatre, s’exprime face à la caméra et dit sa perplexité à accomplir ce métier.
Les soins sont identiques qu’hors la prison, les pathologies sont connues, rien dans ce qui est le quotidien des soignants ne diffère de ce que font leurs collègues à l’extérieur. Mais l’endroit où cela se fait est tout sauf neutre. Travailler en prison, c’est accepter l’idée de la prison, mais c’est aussi composer avec un environnement violent, où les rapports sociaux sont anormaux. Les soins prodigués sont souvent remis en cause par l’incarcération même. Sortis de la salle de consultation, espace de soulagement, devrions nous dire de liberté, les patients redeviennent prisonniers et replongent dans l’une des sources de leurs malaises. Du coup, se pose la question être là, pourquoi, comment, combien de temps ?
L’interdiction de filmer les visages des prisonniers impose des plans rapprochés, des corps aux têtes absentes, des discussions où n’apparaît qu’un seul interlocuteur : Régis Sauder utilise ces contraintes avec intelligence, le film affirme une identité et gagne en dynamisme. Si les corps sont tronqués, il reste la parole. Celle-ci prend une importance capitale, les mots des prisonniers expriment la douleur, les malaises, la souffrance et celle des soignants tente d’apaiser, de comprendre. Ces derniers laissent une grande place à l’écoute et se focalisent sur les sujets plus que sur leurs pathologies. Leur discours est renforcé par les expressions de leur visage. Sourires et grimaces accompagnent les mots des patients mieux que des paroles. Les patients racontent des bribes de vie, où se perçoit les causes de leurs maux et délits (parcours familiaux chaotiques agrémentés d’usages de stupéfiants, difficultés d’insertion sociale, repli sur soi, et déviances qui conduisent à la prison...). Mais le film est aussi un moyen pour les soignants d’exprimer leur propre malaise. Face à leur métier exercé en milieu carcéral, se pose la question de leur place dans ce milieu ! Ces questions posées par les soignants renvoient aux bribes exposées des prisonniers et font de ce film un témoignage indispensable et bouleversant sur les prisons et leurs acteurs.
Être là c’est aussi la place du cinéaste et de ces choix. Trouver sa place, choisir son fil narratif, imprimer une marque : dans son précédent film, Nous, Princesses de Clèves, le choix de filmer les visages en plan rapproché était déjà fort, comme le choix de s’immerger dans une institution : l’école alors, la prison et la santé pour Être là.
Ce film est en résonnance avec l’actualité (conditions de détentions aux Baumettes), il offre un regard original sur la vie en prison en permettant de réfléchir à différentes thématiques : conditions de vie des prisonniers, accompagnements des peines, soins en prison... il permet de découvrir les activités d’un SMPR. Un film fort et passionnant.
Billets de la cinéasteSylvaine Dampierre, sur le site de l'ACID, de Marion Pasquier sur le site Critikat, de Christophe Kantcheff sur Politis (avec un lien pour les abonnés vers un entretien avec le réalisateur Régis Sauder), de Mathilde Blottière sur Télérama.fr et un tchat sur Libération Next avec Régis Sauder
Être là
Régis Sauder, France, 2012.