Les couleurs du monde, pendant longtemps, ont fasciné ceux qui s’y intéressaient. Pendant des siècles, la couleur a été considérée comme une propriété naturelle des objets comme l’est la forme ou la masse. Ce n’est qu’en 1672 que Newton apporta une première théorie de la lumière et des couleurs après avoir expérimenté la décomposition de la lumière blanche à travers un prisme de verre. La conclusion qu’il en a tiré, encore valable aujourd’hui, est que la lumière blanche n’est que la superposition de sept couleurs (rouge, orange, jaune, vert, bleu, indigo, violet), chacune d’elles ayant un indice de réfraction différent dans le verre. Si une tomate paraît rouge, c’est qu’elle absorbe toutes les couleurs sauf le rouge qu’elle diffuse. Dés la publication de ces travaux et jusqu'à nos jours, sont nées d'âpres discutions autour de cette théorie de la lumière et des couleurs, voire une franche opposition à la démarche scientifique inaugurée par Newton. Ses contempteurs, depuis le XVIIème siècle, ont été nombreux : des physiciens comme Hooke et Huygens, des philosophes comme Schopenhauer ou Hegel, des peintres comme Turner, Klee ou Kandinsky. Mais cette opposition a surtout été portée, dès 1810, par Johann Wolfgang von Goethe avec la parution du Traité des Couleurs. Ce traité de plus de 2000 pages a été écrit entre 1790 et 1823. Il développe la notion de polarité (sans aucune relation avec la notion de polarisation actuelle de la lumière). Ce traité se fonde sur le contraste naturel entre le clair et le foncé et sur le fait que seuls le jaune et le bleu sont perçus par nous comme des couleurs entièrement pures. Le jaune est l’entrée dans la lumière (« tout proche de la lumière ») et le bleu est, quant à lui, très apparenté à l’obscurité (« tout proche de l’ombre »). Ce sont les deux pôles opposés (polarité), un pôle positif et un pôle négatif, entre lesquels toutes les autres couleurs se laissent ordonner. Goethe met le jaune, couleur prestigieuse, en relation avec « Savoir, clarté, force, chaleur ». Le bleu est en relation avec « dépouillement, ombre, obscurité, faiblesse, éloignement, attirance », il induit un sentiment d’inquiétude, de nostalgie et de froid. C’est grâce à Goethe qu’on a remarqué qu’une même lumière (par exemple visible grâce à une fumée) avait une dominante jaune devant un fond blanc, puis une dominante bleutée devant un fond noir. Contrairement à la démonstration de Newton, il affirme que le blanc est une couleur naturelle. Pour les philosophes mentionnés plus haut, le jaune est la couleur de la vie (il rappelle le soleil), le bleu est la couleur de la paix (il évoque le ciel, la mer). Dans son poème Voyelles, A. Rimbaud affecte des couleurs aux voyelles : a noir, e blanc, i rouge, o bleu, u vert. Aujourd’hui, la chromothérapie prétend que les couleurs ont une influence sur notre bien-être. Le rouge améliore la performance, le blanc provoque la détente et renforce les défenses naturelles. Toutes ces théories ont en commun de considérer que les couleurs sont bien plus que de simples propriétés de la matière. La théorie moderne de la lumière est basée sur l’existence de « quanta » de lumière, appelés photons. Les photons possèdent une certaine énergie qui se mesure par leur longueur d’onde, caractéristique de la couleur perçue. Cette énergie est transmise aux cellules de la rétine qui réagissent à cet apport et que le cerveau interprète. Voilà pour l’objectif. Mais qui peut prétendre que toutes les cellules rétiniennes de chacun réagissent de la même manière ? L’énergie se mesure, mais la couleur se nomme. Je regarde un objet et je dis : « cet objet est vert ». A mon enfant qui regarde le même objet, je lui dis : « cet objet est vert ». L’enfant associe donc le mot vert à sa sensation rétinienne personnelle. Chaque fois qu’il ressentira cette sensation, il dira « vert ». Mais rien ne permet de dire que, lui et moi, voyons la même chose ! Puis l’éducation, la lecture, l’enseignement lui feront associer à certaines couleurs des sentiments comme le dynamisme, la nostalgie, … , qui lui seront ainsi transmises come l’a été la dénomination des couleurs. Mais rien ne dit encore que nous voyons la même chose. Posons-nous la question de savoir s’il n’en est pas de même pour les sons ? En d’autres termes, est-ce que ce qui est dit ci-dessus pour les couleurs ne serait pas vrai pour toutes nos sensations physiques ? Si oui, chacun de nous vit dans un monde différent sans que les autres n’aient le moyen de le savoir. Voilà pour le subjectif.