C'est à une jeune fille qui a choisi d'être emmurée plutôt que mariée que sont dits ces mots. Carole Martinez réunit en deux phrases la matière de son livre : le monde, le nom du père. Non pas comme deux mystères à éclaircir mais comme une seule et même quête.
Esclarmonde éclaire-t-elle le monde depuis sa cellule construite autour d'elle et à partir de laquelle elle voit jusqu'à Saint Jean d'Acre, ou reçoit-elle du monde la lumière, le soleil ou le feu qui l'éblouissent jusqu'à lui faire suivre son propre père parti si loin qu'il ne peut qu'y mourir ?
Et le monde est-il seulement là où passe le nom du père ? Le père est-il celui qui nomme le monde ?
Père et monde seront traversés de croyances, de haines, de prières, de misères, d'amours, de légendes relancées à chaque chapitre par une écriture somptueuse.
Carole Martinez (qui dédie son livre à Frasquita Carasco) choisit une langue d'aujourd'hui, puisque son héroïne s'adresse "à toi qui peux entendre", en y redonnant sens à des mots anciens, pas vraiment obsolètes puisqu'on les comprend (on les entend), mais dont l'usage n'est souvent conservé que dans de pauvres reconstitutions. Ici, dans son enfermement et sa solitude, Esclarmonde rassemble les terres connues, les temps dont on imagine difficilement comment on y vivait, les tourments des filiations, les places des femmes dans l'organisation sociale et familiale.
Il a suffi d'un texte, gravé dans la pierre d'une chapelle, pour rappeler au monde qu'une fille fut enfermée, à sa demande, par son père et que la folie du monde les emporta.
Le hasard me fait publier cet article le jour de la Sainte Agnès, à qui est consacrée la chapelle où le texte a été inscrit.