ourquoi n'aurais-je pas la licence de penser un peu à moi et même uniquement à cette personne qui m'est chère entre toutes ?...Après tout, ce qui m'importe le plus en ce monde bas qui ne ressemble pas ou si peu, ou quand j'ai bu, c'est moi. Finalement moi, juste moi. Que celui qui a la recette d'un décentrement tout à fait altruiste qui me mobiliserait tout entier pour le plaisir, l'intérêt, la vision du monde d'un autre, qui saurait m'y entrainer au point de me faire autre, me contacte d'urgence.
En définitive, malgré un exo-squelette christique, une morale passable, une ambition démocratique certaine, un souci sociétal pérenne, cette cervelle pleine de fumée qui perd le monde en route au moindre vertige, n'est qu'une interface, un medium entre le monde et moi. Voilà le message réel que j'adresse à l'univers présent et à venir.
Je ne peux qu'imaginer votre place, avec toute la charité du monde. Je vous donnerais ma chemise, sous la neige qui tombe aujourd'hui, que je ne verrais in fine que moi donnant avec tant de générosité son vêtement, et moi souffrant tandis que vous partez et n'êtes rien comparé à la gloire que je goûte et le châtiment que je reçois sous la neige indifférente.
Ma cervelle, mon être sommital et profond, observe tout de son perchoir en osant prétendre qu'il est posé sur le monde et ainsi peut se couler dans tous ses contours, devenir l'infinité des autres par la puissance, les capacités et l'empathie d'une volonté unique, la mienne. En réalité, j'imagine cette rivière qui n'en finit pas de couler. Ses eaux étrangères je les regarde et les touche à ma mesure et me retire à mon envie. Jamais je ne serai une de ses gouttes, et j'en suis bien aise. Moi je suis, moi je demeure.
Je n'aurais pas le droit ? Cessons l'hypocrisie, cessons, voulez-vous. Acceptez que je sois moi, au fond et que de ce qui doit nécéssairement m'importer je parle enfin, forçant ainsi cette nature réservée et soucieuse de l'autre que nous avons façonné ensemble. Cette nature prête à vous céder la parole et épouser vos peines, jusqu'à oublier sa destinée première qui lui reviendra à la fin en pleine face. De toute façon, je ne vais pas tenir longtemps la pose. Je suis oblique par nature, incertain et friable. Un tas de choses et de gens peuvent me corrompre. Pas mal de pensées aussi.
Je n'aurais pas le droit d'y penser, donc ?...Ridicule. Je vais évidemment, absolument et définitivement disparaître de ce monde dont je n'aurais rien vu qui me soit réellement étranger et je n'ai jamais le temps d'y penser. Jamais je ne trouve le bon moment pour penser à ça. C'est assez incroyable quand on y pense. Après les choses, après les gens, après les illusions que je m'accorde, après mes rêves qui vont se ranger dans le bac à rêves dés mon réveil, je n'ai plus de temps pour. L'événement est tout de même central, majeur et même incontournable, pourtant.
Il faut s'habituer à l'idée de la mort, disait Montaigne, qui, lui, avait le temps. Michel de, qui arpentait à l'amble les allées de son esprit peu encombré de pointeuses ou de claviers en panne, et encore moins de loisirs à définir pour mettre du plein dans ce drôle de vide qui nous remplit, nous les contemporains de la fin des illusions, des certitudes et des utopies. Vide, qui n'a même pas l'élégance de se subdiviser en deux quand on est deux, mais s'arrange pour rester pleinement vide.
La mort est ma prochaine, bien plus que l'autre est mon prochain. J'essaie juste de l'imaginer. La penser impliquerait une distance affective. Lors même que je suggère cette crainte, je réalise que je n'ai pas peur. Je n'ai peur de rien. La mort, c'est encore du vide. Je n'arrive nullement à voir la faucheuse si ce n'est comme un ricanement, une ombre qui s'étire, un repos un peu courbatu, bref une ébauche de personnage fictionnel. C'est au moment où j'étire encore mes facultés imaginatives atrophiés par les containers trop étroits où l'époque les loge, qu'une mollesse, un tremblement, une répugnance à aller plus loin me saisit. La vache face au barbelé électrifié m'exprimerait sa compréhension s'il n'y avait la barrière de la langue.
Preuve qu'il y a problème. Si j'avais vaincu cette difficulté, elle se promènerait, se pavanerait devant moi sans que cela ne me fasse plus d'effet que ça. Je n'arrive pas à passer par-dessus, mes tentacules neuronaux tendus au maximum touchent une limite, le moment où ils doivent reconnaître qu'ils sont toujours et plutôt vivants. Tout à fait capables, mais juste capables de m'offrir des images. Des images de ma mort, bien sûr, entre Fellini et Tanguy, entre effacement indistinct et sortie théâtrale.
Non pas que je sois obsédé par l'idée de la mort, comme l'était Derrida qui, ai-je lu, confessait en ses derniers temps qu'il y pensait chaque matin, peut-être en se rasant mais le texte ne le précisait pas.
Mais bon, quand le silence devient présent, quand on va attaquer une nouvelle nuit sans fatigue évidente où projet bien distinct, on sent quelque chose tomber sans bruit et demain perd sa certitude. Alors, après un instant de désorientation l'esprit cherche ce qui a chuté, s'emballe un peu et convoque ce qui le jour suivant fera chair et vie. Je lui en veux un peu, comme à un ami qui en ferait trop pour m'écarter d'un mauvais chemin. Et si jamais il se reprend, me laisse la bride, bête que je suis je me cabre sans pouvoir m'en empêcher. Je sais, ami, mais il est bien trop tôt, je ne peux pas. Demain, il sera toujours temps, elle sera là, elle m'attendra.